ARTISET 01 I 2024 13 qui font le choix de vivre en retrait pour échapper au regard des autres, sortir d’un système dans lequel elles pourraient souffrir, et qui se reconstruisent une identité très différente. À nouveau, cela dépend des ressources dont dispose la personne et des contraintes personnelles ou matérielles auxquelles elle est soumise. Au cours de leur vie, les individus vivent des événements critiques, des transitions, des ruptures. Quel en est l’impact sur l’identité? Il n’y a pas forcément d’impact. Certaines transitions, par exemple le passage de l’école à la vie professionnelle, s’inscrivent dans la continuité. Elles font partie d’une projection dans le futur, elles sont une suite logique. Il existe cependant des événements parfois inattendus qui sont des ruptures dans le parcours de vie et rompent l’équilibre, comme une maladie, un accident, un deuil, une séparation. Dès lors, l’identité doit se reconstruire sur de nouvelles bases. L’individu va alors puiser dans l’environnement, dans les choses du quotidien et dans sa mémoire des éléments qui renforcent la cohérence de sa vie. Avec le vieillissement, le statut professionnel et social des personnes se modifie, les capacités physiques et cognitives aussi. Est-ce que cela signifie aussi une perte d’identité? Si l’on parle ici du passage à la retraite, les études montrent plutôt une forme de libération: retrouver du temps, même si les agendas des jeunes retraités sont bien pleins! L’idée que la retraite est forcément liée à une perte d’identité n’est pas générale. Elle peut cependant se retrouver surtout chez des hommes qui avaient tout consacré à leur travail. C’est une vision normative, mais qui n’est pas représentative de ce que vivent beaucoup de femmes en Suisse, et c’est un modèle remis en question par les jeunes générations. Le fait que ces personnes aient principalement investi leur identité dans leur travail les prive de ressources qu’elles auraient pu trouver dans d’autres groupes ou sphères sociales. Cela montre qu’il ne faut peut-être pas mettre toutes ses billes identitaires dans le même panier! Chez les personnes âgées vivant en institution, on parle souvent de perte d’identité en raison du collectif prédominant. Également en raison du changement de domicile. L’entrée en EMS, surtout si elle n’a pas été choisie, crée une rupture dans le parcours de vie et une incapacité à se projeter dans le futur, à moins d’avoir des ressources dans son passé ou dans son environnement. Une étude a montré que l’identité de père ou mère est visiblement fonctionnelle très longtemps et perdure en EMS. Des nonagénaires affirment tenir le coup pour leurs enfants! On oublie que toutes ces personnes en EMS n’ont pas toujours été dépendantes et vulnérables. Comment valoriser ces vies? Dans les EMS, il y a généralement un entretien à l’entrée pour connaître l’histoire de vie des résidentes et résidents. La question est de savoir ce qu’on en fait ensuite … Souvent on ne sait pas qui est la personne, d’où elle vient, quel est son passé. Le contexte institutionnel ne favorise pas toujours la continuité de la trajectoire de vie. De nombreux exemples montrent bien que l’histoire des personnes est importante pour comprendre leur comportement et savoir comment les accompagner. * Dario Spini est psychologue social, professeur ordinaire a la Faculté des sciences sociales et politiques a l’Université de Lausanne. Il est aussi professeur au Centre interdisciplinaire de recherche sur les parcours de vie et les vulnérabilités LIVES. Ses travaux de recherche portent principalement sur la vulnérabilité, les processus et ressources permettant aux individus de faire face aux événements et transitions au cours de la vie. «La norme d’autonomie renvoie à l’idée que toutes les personnes qui ne l’atteignent pas, dont des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, sont fragiles ou de dépendantes.» Dario Spini À la une
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