Vivre et construire son identité |Magazine ARTISET | 1-2024

ARTISET 01 I 2024 15 Une petite cascade ruisselle sur un mur de pierres sombres du deuxième étage au rez-de-chaussée du bâtiment. Le bruit de l’eau et les biotopes soigneusement aménagés avec des plantes et des éléments en bois le long de la rampe reliant les étages, donnent le sentiment d’être sur un chemin de randonnée. Des niches invitent à faire une pause et à se détendre. «Cela peut rappeler à quelqu’un ses vacances à la montagne», indique Doreen Prüher, responsable des soins. «Mais nous souhaitons avant tout que nos résidentes et résidents, ainsi que le personnel, se sentent bien ici.» Nous sommes au cœur de l’univers de Sonnweid, dans l’un des six vastes bâtiments reliés entre eux, où vivent 174 personnes présentant une démence modérée à sévère. Elles habitent et évoluent dans de grands espaces baignés de lumière, avec des tableaux et des photos qui ornent les murs. Les différentes couleurs des couloirs et des parois créent une atmosphère agréable et servent de repères. Tous les bâtiments donnent accès au vaste jardin traversé de sentiers sinueux et agrémenté de recoins, laissant deviner que les résidentes et résidents y passent certainement d’agréables moments du printemps à l’automne. Une tout autre normalité Sonnweid, situé en périphérie de Wetzikon, dans le canton de Zurich, est un monde à part. Les portes sont fermées au monde extérieur. À l’intérieur, en revanche, la liberté est d’autant plus grande. «Nous laissons chaque personne être qui elle est», déclare Gerd Kehrein, responsable de la formation. Il s’agit d’un principe essentiel dans les relations avec les résidentes et résidents. De même, les gens «peuvent faire ce qui a du sens pour eux». Cela ne doit pas forcément correspondre à ce que nous considérons comme sensé selon nos conceptions et normes usuelles. «Dans notre établissement, nous avons une tout autre notion de la normalité», affirme Doreen Prüher. Ainsi, la déambulation n’est pas considérée comme dénuée de but ou de sens: au contraire, les personnes sont encouragées à combler leur besoin de mouvement. «Les portes ne sont pas fermées. Tout le monde peut évoluer librement dans les bâtiments et le jardin», souligne la responsable des soins. La nuit, seul l’accès au jardin est fermé. Les portes des unités et des lieux de vie sont elles aussi ouvertes. «Tout le monde est bienvenu partout.» En déambulant dans les couloirs, les personnes peuvent se servir aux coins repas répartis en différents endroits. Il arrive souvent qu’une personne se couche dans le lit d’une autre ou passe la nuit sur le canapé d’une autre unité. Il peut aussi arriver qu’un résident s’endorme sur le sol et qu’un membre du personnel lui apporte une couverture. «Avec la démence, la normalité laisse la place à l’anormalité, qui peut être assimilée au chaos», déclare Gerd Kehrein, rappelant un principe de longue date de Sonnweid, avant de conclure de manière délibérément provocatrice: «À Sonnweid, le chaos devient la normalité.» Pour les proches ou les personnes en visite, cela peut être déroutant de voir une personne boire dans le verre de son voisin ou porter son maillot de corps par-dessus son pull, ou encore une résidente arracher des plantes d’une platebande du jardin pour les replanter ailleurs, ou un résident réaménager la salle de bains. «Chez nous, une vie libre et autodéterminée signifie que les personnes décident en grande partie elles-mêmes ce qu’elles veulent faire ou non», indique Doreen Prüher. «Nous essayons de ne pas confronter les personnes atteintes de démence à leurs déficits. Elles ne font pas mal les choses, nous les acceptons comme elles sont, et c’est bien ainsi.» Être en relation Cette posture d’accepter les personnes atteintes de démence dans leur différence les apaise, observe Doreen Prüher. Par «accepter», elle veut dire que le personnel ne se contente pas de laisser les personnes faire ce qu’elles souhaitent, mais qu’il fait aussi preuve de compréhension à leur égard. Les résidentes et résidents doivent ressentir et savoir qu’ils sont bien comme ils sont. «On s’adresse à eux partout et on les À la une

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