ARTISET 02 I 2024 21 À la une autres décident pour elle, cela devient un choix imposé ou contraint, et ce n’est plus de l’autodétermination. L’autodétermination suppose la capacité de faire des choix et de les réaliser. Ce sont des compétences exigeantes… Est-ce un obstacle à l’affirmation et à la réalisation de ses choix? Si l’on ne tient pas compte de l’environnement ni des conditions à mettre en place pour permettre à tout individu de choisir et d’agir librement en fonction de ses choix, quelles que soient ses capacités, cela peut être un obstacle, en effet. Voire une forme de pression ou de «sur-responsabilisation»: imaginez qu’on parte du postulat que tout le monde dispose d’un pouvoir d’agir et d’une liberté de choix; selon une vision très libérale et individualiste, ce serait alors de leur faute si certaines personnes ne parviennent pas à s’autodéterminer. C’est ce qu’on appelle le capacitisme, selon lequel tout le monde est capable et libre de réaliser ses propres choix, et donc responsable de le faire. La notion d’autodétermination n’est pas qu’une question d’efficience ou de responsabilité personnelle, elle est étroitement liée au contexte social. Si l’environnement est ajusté aux situations de vulnérabilité, il y aura alors la place pour une autodétermination qui se déploiera, tantôt de la même façon que pour des personnes qui n’ont pas de limitations, tantôt d’une autre manière tout aussi épanouissante qui tient compte des capacités moindres. Vous avez évoqué la «sur-responsabilisation». À l’inverse, l’autodétermination peut aussi souffrir d’une forme d’infantilisation ou de paternalisme. On peut en effet trouver une attitude paternaliste dans certaines institutions. Elles sont soucieuses de protéger leurs bénéficiaires, d’autant plus lorsque l’environnement n’est pas suffisamment favorable à leur autodétermination. Les professionnels pourront ainsi avoir tendance à protéger, voire à surprotéger les bénéficiaires, les considérant avant tout comme des personnes qui ont besoin d’aide et non pas comme des acteurs de leur propre vie. Cette surprotection peut être ressentie comme un manque de respect et entraîner de la résignation voire de l’apathie chez la personne vulnérable. Mais c’est aussi un manque de respect de trop exiger de la personne, donc de la sur-responsabiliser. Pour lever ces ambiguïtés, vous abordez la notion de l’autodétermination par le biais des capabilités. Expliquez-nous. L’approche par les capabilités soutient l’idée que les gens doivent être réellement libres de mener la vie qui a de la valeur à leurs yeux. Cela suppose que leurs choix de vie soient réellement libres et non pas imposés par d’autres et que les gens disposent des moyens, des ressources et des habiletés pour déployer leur pouvoir d’agir et réellement mener la vie qu’ils ont choisie. Selon cette approche, les bénéficiaires peuvent être soutenus et protégés tout en participant activement à l’environnement dans lequel elles et ils évoluent. On n’est donc ni dans le paternalisme, ni dans le capacitisme. Il s’agit de trouver un équilibre entre les deux. Cet équilibre n’est pas le même pour tout le monde, il dépend des personnes, des moments et des situations. Il faut aussi que le contexte et l’environnement soient favorables. C’est tout cela qui fait que l’on passe d’un droit formel à l’autodétermination, couché sur le papier, à une liberté réelle de choisir et d’agir. Vous affirmez que les personnes doivent avoir la liberté de choisir la vie qui a de la valeur pour elles. Cette liberté de choix n’a-t-elle donc pas de limites? La liberté de choix est un élément central de l’autodétermination, cela ne veut pas pour autant dire que chacun peut faire ce qu’il veut. Il n’y a pas de liberté absolue. Dans un contexte collectif, on parlera davantage de liberté raisonnable. Cela signifie que la collectivité doit se mettre d’accord sur les choix raisonnables à disposition «Donner le pouvoir d’agir sans laisser la liberté de choix est de l’ordre du paternalisme. Et donner la liberté de choix sans octroyer le pouvoir d’agir part d’une bonne intention mais ne change rien à la vie des gens.» Jean-Michel Bonvin
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