Faire ses propres choix de vie | Magazine ARTISET 2-2024

ARTISET 02 I 2024 27 À la une Le long chemin vers l’autonomie S’il faut du courage pour se raconter publiquement comme les deux jeunes femmes l’ont fait sur scène, de surcroît face à des proches qui pourraient ne pas comprendre, il en faut aussi pour se lancer dans la vie et acquérir son autonomie. Les expériences de Celina et Thalya rejoignent malheureusement celles de nombreux care leavers, ces jeunes qui ont grandi en foyer ou en famille d’accueil, et qui, à leur majorité, transitent vers une vie autonome. Ces jeunes font face à des défis majeurs en termes de logement, de formation et de ressources financières, et se heurtent aux obstacles structurels et légaux, parfois aux lacunes du système. Le plus souvent, le soutien familial fait défaut. L’étude nationale «Grandir en foyer: quels enseignements tirer de l’expérience?» a justement pour but principal de comprendre cette période de transition et d’évaluer l’influence de l’éducation en institution sur le développement à long terme des jeunes. «Le plus dur, c’est le manque de soutien familial», affirme Thalya. «Tu rentres chez toi, il n’y a personne, tu dois tout faire: les repas, la lessive, les factures … Et si tu ne te sens pas bien, il n’y a personne pour t’écouter.» C’est aussi compliqué de prendre toutes les décisions seule. Celina abonde: «On touche des aides sociales, mais on se retrouve seule. Au début, quand je rentrais, je pleurais, je n’avais plus envie de vivre cette vie-là. Qu’avais-je donc fait pour mériter cela? Il faut beaucoup prendre sur soi.» Par chance, elle a pu et peut toujours compter sur le soutien et l’écoute de son amoureux. Une revanche sur la vie Aujourd’hui, tandis que Celina navigue entre le domicile de son copain et la résidence, Thalya a emménagé dans un grand studio. «Je suis autonome, je paie mes factures et je peux faire de la musique!», se réjouit-elle. Toutes deux touchent des aides pour le loyer, l’assurance maladie, les frais de repas, d’entretien et d’hygiène. «On peut travailler mais on n’a pas le droit de toucher plus de 300 francs par mois», explique Thalya. «Comment sortir la tête de l’eau dans ces conditions?» Et toutes deux ont renoué avec les études: la musique pour Thalya et le travail social pour Celina, avec pour objectif de décrocher une maturité qui leur permettra à l’une comme à l’autre de poursuivre leur formation. Et elles ont de l’ambition: Thalya vise la musicothérapie et Celina hésite entre la psychologie et la criminologie, à défaut de la médecine. «Ce n’est pas grave, tant que j’aime ce que je fais et que je suis heureuse …» Et de poursuivre, les larmes au bord des yeux: «J’ai la chance d’avoir quitté un environnement qui ne me permettait pas d’avancer. J’ai fait un bon bout de chemin depuis. Mais je dois encore apprendre à vivre avec moi-même.» Pour l’heure, elle se lance des petits défis au quotidien, comme aller courir et manger. Pour se réconcilier avec son corps. Quant à Thalya, quitte à devoir se discipliner et travailler dur, elle entend bien prendre une revanche sur la vie. «Ma vie n’est pas une catastrophe parce que j’ai grandi en partie en foyer.» Son but? Avoir un bon salaire pour vivre dans un bel appartement et inviter ses demi-sœurs en vacances. «Je ne veux pas manger des pâtes à la fin du mois, mais du caviar!», lance-t-elle dans un grand éclat de rire! Dans le théâtre, les lumières se sont éteintes. Les deux jeunes femmes quittent les lieux par l’entrée des artistes. Celina enfourche sa moto – «Je roule, j’adore, je suis libre!» Thalya rejoint l’école de musique pour une répétition en prévision de concerts à venir – «Venez m’écouter!» Tout le monde s’accorde à dire qu’elle a une très belle voix. AIDE POUR LES CARE LEAVERS ■ Créé en 2019, le Centre de compétences Leaving Care est une plateforme nationale dédiée à la question du leaving care, qui réalise un travail de sensibilisation. En 2023, le centre a rejoint Youvita, l’association de branche des prestataires pour enfants et jeunes. Pour les care leavers, ces jeunes qui ont passé une partie de leur vie dans un foyer ou une famille d’accueil, la transition, à leur majorité, vers une vie autonome, est difficile. Le Centre de compétences vise à faciliter l’accès des care leavers à des formes de soutien gratuites et correspondant à leurs besoins. Le centre travaille en réseau avec les milieux de la pratique et de la recherche et s’engage à travers des activités de conseil, support, lobbying, formation, etc. (leavingcare.ch/francais-home) ■ Fondée en 2021, Careleaver Schweiz, est aussi une association nationale qui regroupe des (anciens) enfants placés. Le soutien offert passe par la défense de leurs intérêts auprès des autorités et instances compétentes et par la diffusion d’informations (careleaver.ch). «Le plus dur, c’est le manque de soutien familial. Tu rentres chez toi, il n’y a personne, tu dois tout faire: les repas, la lessive, les factures.» Thalya

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