ARTISET 03 I 2022 11 Le canton de résidence peut donc être déterminant en termes de droits politiques. Les cantons appliquent en effet des critères différents pour décider si une personne doit être placée sous curatelle de portée générale. La plupart des curatelles de portée générale sont instituées en Suisse romande ou au Tessin. Les cantons de Vaud et de Genève représentant à eux seuls environ un tiers de toutes les curatelles de ce type en Suisse. Ce sont, de l’avis de Cyril Mizrahi, des pratiques qui sont maintenues alors qu’elles n’ont plus vraiment lieu d’être. Pour sa part, Jan Habegger, directeur adjoint d’Insieme Suisse, estime que cela reflète des différences culturelles: cette conception de protection et d’assistance serait plus profondément ancrée en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Modification de la Constitution genevoise «Même si le nombre de personnes interdites est assez restreint, il y en a toujours trop», affirme Cyril Mizrahi. Cette interdiction repose sur l’idée que les personnes qui dépendent d’une curatelle de portée générale pour gérer leur vie quotidienne ne sont pas capables de se forger une opinion politique. Mais c’est faux: «Comme dans le reste de la population, il y a aussi parmi ce groupe de personnes des gens qui veulent être actifs politiquement, et d’autres qui ne sont pas en situation de l’être ou ne ressentent pas le besoin de s’intéresser aux sujets politiques.» Au sens de la CDPH, souligne l’avocat, il est tout simplement inacceptable de refuser à certaines personnes d’exercer ce droit. Cela équivaut en quelque sorte à leur refuser la qualité de citoyenne ou citoyen. Les droits politiques relèvent des droits fondamentaux en démocratie, souligne également Jan Habegger. «Ils doivent être accordés à toutes et tous, peu importe que l’on s’en serve ou pas dans les faits.» Cyril Mizrahi réfute l’argument régulièrement mis en avant qui voudrait que ces personnes seraient aisément manipulables ou pourraient faire le jeu de fraudeurs. «Beaucoup de gens s’appuient sur l’opinion de leur entourage pour prendre une décision.» Pour Jérôme Laederach, qui préside la section genevoise de l’association de branche Insos, il y a toujours un risque que certaines personnes essaient d’imposer leur opinion à d’autres, ou cherchent à les manipuler. «Priver une personne de ses droits politiques dans l’idée de prévenir une fraude éventuelle revient à punir la victime potentielle et non les auteurs de l’infraction», insiste-t-il. Dans le canton de Genève, l’engagement de longue date d’hommes et de femmes politiques comme Cyril Mizrahi, qui siège au Parlement cantonal en tant qu’élu PS, a fini par porter ses fruits: fin novembre 2020, le peuple genevois a approuvé à une très nette majorité une modification de la Constitution cantonale. À Genève, désormais, que ce soit au niveau cantonal ou communal, toutes les personnes en situation de handicap peuvent voter et élire qui elles souhaitent, sans aucune restriction. Suivant l’exemple genevois, des interventions parlementaires visant à permettre à toutes les personnes en situation de handicap d’exercer leurs droits politiques ont été acceptées dans plusieurs cantons, dont les deux Bâle, Neuchâtel et Vaud. Au niveau fédéral, le Conseil des États a approuvé en mars 2021 un postulat en ce sens de Marina Carobbio (PS/TI). Le Conseil fédéral, qui en a pris acte, élabore actuellement un rapport sur le sujet. Les cantons et la Confédération s’engagent ainsi sur une voie que de nombreux pays ont déjà empruntée depuis longtemps, notamment des pays qui nous entourent comme la France, l’Autriche ou l’Italie. Le manque de soutien s’explique aussi par les préjugés Même si plus personne ne se voit interdire d’exercer ses droits politiques, cela ne signifie pas pour autant que tout le monde les exercera ou pourra effectivement les exercer. À l’heure actuelle, un nombre important de personnes en situation de handicap a déjà, au moins en théorie, la possibilité d’exercer ses droits politiques. Mais, dans les faits, nombre d’entre elles en sont exclues. C’est notamment le cas des adultes ayant des troubles cognitifs, un groupe que Jan Habegger estime à environ 60000 personnes. Entre un cinquième et un quart de celles et ceux qui pourraient voter le font effectivement, précise-t-il encore. L’une des principales raisons de ce taux d’abstention, s’accordent à dire les représentant·es des personnes en situation de handicap, est la complexité du matériel de vote. Comme le fait remarquer Jérôme Laerach, d’Insos Genève, «les jeunes ont souvent beaucoup de mal à comprendre les documents de vote, et c’est encore plus difficile pour les personnes en situation de handicap mental». Cette complexité des documents, confirme Jan Habegger, a souvent pour conséquence de décourager les parents et les institutions, qui se sentent bien seuls pour soutenir les personnes intéressées dans leurs prises de décisions politiques. Voilà aussi pourquoi certaines enveloppes de vote ne sont pas ouvertes, quand bien même leurs destinataires auraient pu ou voulu – avec le soutien nécessaire – se faire une opinion. Le manque de soutien est parfois «Même si le nombre de personnes interdites est assez restreint, il y en a toujours trop.» Cyril Mizrahi, avocat à Genève, notamment auprès d’Inclusion Handicap
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