ARTISET 03 I 2022 31 Claudia Grob, «La Mif»: une fiction ou la vraie vie? C’est clairement une fiction. Bien sûr, j’ai vécu des situations similaires dans ma vie professionnelle. Mais ce n’est pas notre propre histoire que nous avons jouée. Vous revenez de Corée du Sud où le film était en compétition. Quel accueil a-t-il reçu? En effet, notre film a été sélectionné pour le Festival international du film de la paix à PyeongChang. Nous n’avons pas gagné de prix, mais pour nous, c’est tout comme! Le film a été très bien accueilli. Je suis à chaque fois étonnée de voir combien les gens sont touchés, et même en Corée du Sud! La violence, qu’elle soit physique ou verbale, et la souffrance affective chez les jeunes sont-elles donc des thèmes universels? Il semble que oui. Après le visionnage du film, nous avons rencontré le public et des journalistes. Ils se sont dit impressionnés que nous ayons montré dans ce film les choses telles qu’elles pourraient être et dont nous avons parlé ouvertement, alors que chez eux, nous ont-ils dit, la maltraitance envers les enfants est un vrai fléau. Sauf que le sujet est tabou et personne ne semble vouloir s’en préoccuper. Pourquoi avoir accepté de jouer dans ce film? Ce qui m’a convaincue, c’est la participation des jeunes et des éducatrices et éducateurs du foyer dans le projet. Et c’était un bon timing pour moi: je partais à la retraite en décembre, et au début de l’année suivante, nous avons commencé les ateliers d’improvisation destinés à travailler les personnages. Comment se sont déroulés vos débuts au cinéma? Grâce aux ateliers d’improvisation, j’ai vite appris à oublier la caméra. Durant deux ans, nous nous sommes régulièrement retrouvés pour des week-ends d’ateliers, pour nous habituer à la caméra, au micro et à la façon de travailler de Fred Baillif. «Ce n’est pas votre histoire, mais quand vous jouez, l’émotion doit être la vôtre», nous disait-il. Il a aussi demandé aux filles de parler comme elles en ont l’habitude, même avec les gros mots! Ces ateliers d’improvisation ont continué pendant le tournage. Nous ne connaissions pas le scénario et il n’y avait pas de dialogues prédéterminés. Entre les jeunes et l’équipe éducative, nous nous connaissions pour la plupart. Pour jouer des situations fictives, nous devions nous comporter comme nous en avions l’habitude dans la vraie vie. «Soyez vous-mêmes», répétait Fred. Cette proximité avec la réalité, avec des situations que vous avez connues, n’est-elle pas déroutante? Oui, et parfois il est difficile de faire la part des choses. Et je n’étais pas toujours d’accord, car il y avait des scènes dans le film qui ne se passent vraiment pas comme ça dans la vraie vie. Mais c’est justement ce qui distingue la fiction du documentaire. Il n’y a eu qu’une seule scène pour laquelle j’ai dit «non, ça je ne le ferais ni dans la réalité ni pour une fiction!». Certaines des adolescentes ont vécu la vie en foyer et connu des violences. Comment ont-elles été préparées à jouer des scènes sensibles, qui auraient pu réveiller des traumatismes? Il faudrait poser la question aux filles elles-mêmes et à Fred Baillif! Mais je sais qu’il a pris grand soin d’elles. Il a pris du temps avec chacune et chacun d’entre nous, en commençant par des entretiens individuels. Les ateliers nous ont aussi permis de mieux nous connaître, de passer du temps ensemble, de travailler les personnages et de tester nos limites. En 110 minutes à l’écran, la vie d’un foyer d’accueil apparaît avec un concentré de tension, de violence, de remises en question. D’amour, de solidarité et de besoin «La mif», c’est la famille en verlan. C’est aussi le titre d’une fiction qui met en scène des adolescentes vivant sous le même toit, dans une famille qu’elles n’ont pas choisie, avec la présence protectrice de la directrice Lora, alias Claudia Grob, qui fut elle-même directrice de foyers d’accueil dans la vraie vie. Entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Nicole
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