ARTISET Le magazine des prestataires de services pour les personnes ayant besoin de soutien. À la une Appréhender les transgressions Un nouvel outil de reporting soutient les institutions sociales dans leur développement stratégique Des familles et une crèche contribuent à faire vivre un centre intergénérationnel genevois Mise en œuvre de l’initiative sur des soins infirmiers forts: l’amélioration des conditions de travail doit être financée Édition 03 I 2024
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ARTISET 03 I 2024 3 Éditorial «Si le personnel qualifié, du fait de son professionnalisme, est sensibilisé à ce type de problématiques, sa responsabilité n’en demeure pas moins particulièrement importante.» Elisabeth Seifert, rédactrice en chef Chère lectrice, cher lecteur, Une santé physique, psychologique ou cognitive fragile rend les personnes concernées dépendantes de leur environnement social, de leurs proches, mais également du personnel spécialisé des secteurs ambulatoire et stationnaire. Cette dépendance incite, consciemment ou non, les personnes apparemment fortes à exercer une autorité sur les plus vulnérables, à ne pas respecter leur opinion ou leur manière d’être, ni même leur intégrité physique. Les abus prennent de nombreuses formes différentes. Les enfants et les jeunes, les personnes en situation de handicap et les personnes âgées sont particulièrement concernées. Dans un premier temps, les débats de société ont porté sur les transgressions touchant les personnes mineures, notamment les violences sexuelles. Depuis quelques années, une prise de conscience générale des violences envers les personnes âgées se développe. Plus récemment, le rapport du Conseil fédéral sur les violences à l’encontre des personnes en situation de handicap contribue à accroître la sensibilisation à la thématique dans ce domaine aussi. Il est important que les prestataires se confrontent également aux éventuels abus et transgressions. Si le personnel qualifié, du fait de son professionnalisme, est sensibilisé à ce type de problématiques, sa responsabilité n’en demeure pas moins particulièrement importante. Faisant suite au rapport du Conseil fédéral mentionné plus haut, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales a publié en juin dernier une prise de position dans laquelle les cantons s’engagent notamment à renforcer la protection contre les violences dans les offres stationnaires (page 10). Indépendamment de cela, des institutions de différents domaines d’accompagnement se préoccupent actuellement de la question des comportements transgressifs, adoptant des mesures particulières. À l’EMS Serata de Zizers (GR), le standard grison s’applique pour la première fois dans une institution du domaine des personnes âgées, le but étant de mieux sensibiliser le personnel et de développer une «culture de l’observation» (page 6). Les deux institutions pour personnes en situation de handicap Le Foyer, à Lausanne, et Fara, à Fribourg, misent sur le concept de «bientraitance»: une culture du dialogue et la participation des bénéficiaires devraient empêcher les abus de pouvoir (pages 16 et 20). De leur côté, les responsables de GO DEF, une institution zurichoise pour enfants et jeunes, sont en train de réviser le code de conduite précisant les responsabilités du personnel et des personnes protégées (page 24). Deux sujets politiques importants pour le domaine des soins de longue durée dominent la seconde partie du magazine: Christina Zweifel, directrice de Curaviva, analyse avec Catherine Bugmann, responsable de projets Politiques publiques chez Artiset, les étapes de la mise en œuvre de l’initiative sur les soins infirmiers (page 34). Quant à la votation populaire sur le projet de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires, elle aura lieu fin novembre: Tschoff Löw, le responsable Politiques publiques d’Artiset (page 45), et Daniel Höchli, directeur d’Artiset (page 50), expliquent l’importance que revêt ce projet, notamment pour les soins de longue durée. Photo de couverture: les transgressions sont éprouvantes pour les personnes concernées, quel que soit leur âge. Photo d'illustration: Marco Zanoni
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ARTISET 03 I 2024 5 Sommaire SONT CERTIFIÉES CRADLE TO CRADLE NOS ENCRES D’IMPRESSION Impressum. Rédaction: Elisabeth Seifert (esf), rédactrice en chef; Salomé Zimmermann (sz); Anne-Marie Nicole (amn); France Santi (fsa); Jenny Nerlich (jne) • Correction: Stephan Dumartheray • Éditeur: ARTISET • 3ème année • Adresse: ARTISET, Zieglerstrasse 53, 3007 Berne • Téléphone: 031 385 33 33, e-mail: info@artiset.ch, artiset.ch/ magazine • Annonces: Zürichsee Werbe AG, Fachmedien, Tiefenaustrasse 2, 8640 Rapperswill, téléphone: 044 928 56 53, e-mail: markus.haas@fachmedien.ch • Graphisme et impression: AST&FISCHER AG, Seftigenstrasse 310, 3084 Wabern, téléphone: 031 963 1111 • Abonnements: ARTISET, téléphone: 031385 33 33, e-mail: info@artiset.ch • Abonnement annuel CHF 125.– • Parutions: 8× allemand (4600 ex.), 4× français (1400 ex.) par année • Certification des tirages par la REMP 2023 (pour la version en allemand): 3167 ex. (dont 2951 ex. vendus) • ISSN: 2813-1363 • Réimpression, en tout ou partie, selon accord avec la rédaction et indication complète de la source. À la une 06 Pour la première fois, le standard grison est introduit dans un EMS 10 Les cantons veulent développer la protection contre la violence dans les institutions 14 Un guide livre des conseils pratiques 16 Le Foyer, à Lausanne: favoriser la participation pour lutter contre les abus 20 La Fondation Fara à Fribourg: une nouvelle stratégie mise sur la bientraitance 24 Un code de conduite pour mieux sensibiliser Les brèves 28 Panorama de la société suisse L’actu 30 Comment divers groupes de personnes vivent ensemble sous un même toit 34 De meilleures conditions de travail dans les soins doivent être financées 38 Recruter du personnel sur les réseaux sociaux 40 Renforcer la sécurité au travail 43 Un nouvel instrument de reporting pour les institutions sociales 45 Importance du financement uniforme 48 Mieux exploiter les métiers du social dans l’accompagnement des personnes âgées Espace politique 50 Daniel Höchli, directeur d’Artiset 16 30 50 Le standard grison Guide à l’usage des organisations
6 ARTISET 03 I 2024 Apprendre à gérer les conflits avec le standard grison Dominique Cerveny, directrice de l’EMS Serata, accompagne une résidente lors de sa promenade dans le jardin. Photo: Serata
ARTISET 03 I 2024 7 Le standard grison, initialement développé en 2011 pour les institutions du domaine de l’enfance et de la jeunesse, établit désormais de nouvelles mesures dans la prévention de la violence et des transgressions dans le travail avec les personnes âgées. L’EMS Serata, à Zizers (GR), est le premier à avoir introduit le standard grison. Dominique Cerveny, la directrice, partage son expérience à ce sujet. Reka Schweighoffer* L’EMS Serata accompagne une centaine de personnes âgées en perte d’autonomie ou atteintes de démence. Situé à Zizers, dans un cadre idyllique au milieu d’un jardin luxuriant, sur fond de montagnes grisonnes, il fait partie de la fondation «Gott hilft». La fondation «Gott hilft» a développé en 2011 le standard grison pour les institutions du domaine de l’enfance et de la jeunesse. Il est devenu un outil compréhensible et convivial qui aide à prévenir les transgressions ou à les traiter avec professionnalisme. Il y a cinq ans, la fondation a décidé d’établir une version du standard grison indépendante de tout groupe cible, disponible en ligne et pouvant s’appliquer à d’autres structures sociales. Lors d’un échange au sein de la fondation, Dominique Cerveny, la directrice de l’EMS Serata, s’est montrée très intéressée par l’introduction du standard grison dans son institution. Les soins et l’éducation semblent être deux domaines de travail entièrement différents à première vue. Dominique Cerveny estime toutefois que si l’on y regarde de plus près, de nombreux parallèles peuvent être établis entre la phase de l’enfance et de la jeunesse et la dernière phase de la vie. Il s’agit en effet dans les deux cas de personnes ayant, pour des raisons diverses, besoin de soutien. De plus, les situations complexes sont inhérentes aux relations interpersonnelles. Dominique Cerveny a été particulièrement motivée par l’introduction du standard grison dans son institution car la violence et les transgressions sont des thèmes qui concernent l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs. Jusqu’à présent, la formation sur la gestion de la violence était uniquement dispensée au personnel des soins et de l’accompagnement du centre pour personnes âgées Serata. Le personnel du service hôtelier ou du nettoyage quant à lui ne bénéficiait pas de formation, alors qu’il est lui aussi en contact avec les résidentes et résidents. S’emparer de ce projet pilote pour l’ensemble de l’établissement était donc une opportunité, bien que quasiment aucun rapport dénonçant une transgression n’ait jusqu’alors été adressé à la directrice de l’institution. Développer une première compréhension Le projet «Standard grison» a été lancé au printemps 2023. Pour marquer le coup d’envoi, des sachets de pop-corn assaisonnés au ras el-hanout, un mélange traditionnel de trente épices utilisé au Maghreb, avaient été placés sur les sièges des membres du personnel. Cette richesse préfigurait le projet du standard grison. Dans la mesure où il était prévu que tout l’établissement travaille selon le standard grison, il fallait que chaque collaboratrice et collaborateur fasse part de sa propre expérience. L’établissement tout entier s’est donc plongé dans la thématique autour des dix éléments-clés du standard grison, commençant ainsi à comprendre les transgressions et leurs différentes facettes. Pour la phase d’introduction, une équipe interdisciplinaire d’accompagnement des processus, composée de cinq personnes expérimentées dans la mise en œuvre du standard grison dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, a été constituée. Il a été décidé conjointement de poser les bases durant le premier semestre du projet et de consacrer le deuxième semestre à l’introduction et à la consolidation du standard grison dans l’établissement. À la une LE STANDARD GRISON Le standard grison est un instrument qui a été développé dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse pour éviter les transgressions ou les traiter avec professionnalisme. La nouvelle version du standard est disponible en ligne et peut aussi être utilisée par d’autres institutions comme des EMS ou des institutions pour personnes en situation de handicap. La grille de classification, qui définit les transgressions à tous les niveaux relationnels, peut être adaptée individuellement à chaque organisation.
8 ARTISET 03 I 2024 STEFANIE SAGER www.keller-be atung.ch 056 483 05 10 5405 Baden-Dättwil Strategie Projekte Controlling Prozesse die Pflege gezielt auSriChten «Entdecken Sie unsere massgeschneiderte Pflegeberatung zur Optimierung von Organisations- und Arbeitsmodellen. Gerne berate ich Sie persönlich.» Ihre Spezialisten für Spital, Heim und Spitex Annonce Lors du lancement, l’équipe d’accompagnement des processus a aussi donné des explications très claires au personnel de l’EMS sur l’utilité et le but du standard grison. La mise en lumière des différentes sphères de cohabitation dans lesquelles les personnes évoluent au sein de l’EMS était particulièrement intéressante: pour le personnel, l’EMS est un lieu de travail et donc une sphère publique ou professionnelle, tandis que pour les résidentes et résidents, il s’agit de leur domicile, et donc de leur sphère privée et intime. Des transgressions surviennent donc déjà en raison du simple fait que l’EMS est un lieu de rencontre entre des personnes qui évoluent dans des sphères différentes, avec des intentions différentes. Transgressions par les résidentes et résidents En interne, un groupe de projet composé de cinq personnes représentant tous les secteurs d’activité et échelons hiérarchiques a été constitué. Il a organisé, pour le personnel du Serata, quatre ateliers lors desquels des situations du quotidien ont été traitées et discutées. Les collaboratrices et collaborateurs ont réfléchi ensemble aux situations conflictuelles des mois précédents, et à la manière dont ils pourraient mieux les gérer à l’avenir. Il est alors apparu qu’il n’y a pas seulement des transgressions de la part du personnel, comme des remarques impatientes, mais que, plus souvent qu’on l’imagine, les résidentes et résidents ont aussi des comportements transgressifs. «En général, les résidentes et résidents franchissent les limites parce que leur besoin n’est pas satisfait», explique Dominique Cerveny. «Les personnes présentant une démence, qui ont des difficultés de verbalisation, ont plus souvent un comportement agressif envers le personnel. Mais c’est toujours en raison d’un besoin insatisfait ou d’une incompréhension face à une situation.» Sensibilisation au degré de gravité L’élaboration d’une grille de classification est au cœur du standard grison. Dominique Cerveny et son personnel lui ont accordé une très grande attention. Dans cette grille, les transgressions sont classées en quatre degrés, allant de «situation quotidienne» à «transgression très grave», en passant par «transgression légère» et «transgression grave». Elles sont aussi classées en niveaux: le niveau des résidentes et résidents entre eux, celui des résidentes et résidents envers le personnel et celui du personnel envers les résidentes et résidents. Pour chaque transgression, par exemple des insultes ou un vol, la grille prévoit des mesures. Pendant un mois, l’EMS a rassemblé des exemples de comportements transgressifs, tous secteurs de travail confondus. Dominique Cerveny donne des précisions à ce sujet: «Pour chaque secteur, nous avons placé dans une chemise la grille de classification et les notices correspondantes, que les membres du personnel pouvaient consulter comme référence. Il était particulièrement important pour nous de nommer et de formuler très précisément les actes. De plus, nous avons mené une réflexion commune sur les comportements tolérables et intolérables. Qu’a-t-on ou que n’a-t-on pas le droit de faire chez nous? Qu’est-ce qui fait partie du mandat «Nous avons réussi à sortir du tabou et parler des comportements transgressifs fait désomais partie du quotidien.» Dominique Cerveny, directrice À la une
ARTISET 03 I 2024 9 ‣ Gesundheit Weiterbildung an der BFH CAS Demenz und Lebensgestaltung | Start: November 2024 CAS Eigenweltorientierte Kommunikation Demenz Start: April 2025 Fachkurs Interprofessionelle Zusammenarbeit in der Lebenswelt älterer Menschen | Start: Januar 2025 Kurs Diagnostik und Management Schwindel | Start: Januar 2025 Kurs Unerfüllter Kinderwunsch – ganzheitlich betreut und begleitet | Start: Februar 2025 bfh.ch/gesundheit/weiterbildung 09_WB_INA_PFL.indd 1 13.08.2024 11:41:52 Annonce de soins? Ainsi, une quarantaine d’exemples a vu le jour.» Ces exemples ont été saisis dans la grille avec les mesures discutées, puis mis à disposition des unités et des secteurs d’activité. Un service de signalement pour le personnel Toute l’institution travaille avec le nouvel instrument depuis novembre 2023. Chaque secteur dispose désormais d’une chemise verte contenant entre autres la grille de classification et les notices. Une discussion a lieu chaque semaine au sein des équipes et tous les mois, les transgressions vécues sont discutées lors du rapport. Dominique Ceverny précise en outre que la mise sur pied d’un service de signalement interne indépendant pour le personnel a été utile. Chez Serata, c’est une personne du service de l’animation qui s’en occupe. Selon la directrice, cette offre est absolument nécessaire, car le personnel peut y obtenir du soutien sur des sujets délicats dans un espace protégé. «Nous avons réussi à sortir du tabou et parler des comportements transgressifs fait désomais partie du quotidien», ajoute la directrice. Dans ce contexte, le langage développé en commun est d’une grande aide. Beaucoup de collaboratrices et collaborateurs sont maintenant sensibilisés et davantage disposés à demander du soutien au sein de l’équipe, y compris dans le but de se protéger personnellement. Grâce aux canaux de communication, comme le rapport et la réunion d’équipe, des situations délicates peuvent être désamorcées plus rapidement: une résidente refusait par exemple catégoriquement les soins corporels le matin et attaquait verbalement le personnel soignant. Jusqu’à présent, celui-ci prenait note de la situation et déployait beaucoup d’énergie pour que la résidente accepte les soins corporels. Dans le cadre du standard grison, cette situation a été évaluée. On a constaté que la résidente prenait par le passé toujours sa douche le soir. Les soins corporels ont donc été décalés au soir et il n’y a plus aucun problème. Sans le rapport du standard grison, il aurait sans doute fallu plus de temps pour évoquer cette situation, comme beaucoup d’autres, et trouver des solutions. Dans l’EMS, une attention particulière est maintenant accordée au fait d’agir rapidement quand des transgressions soi-disant légères, comme des remarques dévalorisantes ou des menaces, s’accumulent. Une culture de l’observation «Réaliser un projet thématique de façon transversale a été une expérience enrichissante, mais pleine de défis, car chaque secteur d’activité a sa propre manière de penser. Il a aussi été compliqué de gérer la documentation, car tous les secteurs ne disposent pas de systèmes qui s’y prêtent. Sur ce point, nous bricolons encore un peu», avoue Dominique Cerveny. Selon la directrice, l’implication de l’ensemble du personnel reste un défi, mais le fait que le standard grison ait été mis en application avec des exemples propres à l’institution a contribué à l’enthousiasme des collaboratrices et collaborateurs. «Quand on a participé à quelque chose, le sentiment d’appartenance naît automatiquement.» De nouveaux thèmes sont désormais intégrés au projet, comme l’implication des gardes de nuit et l’élargissement aux comportements transgressifs entre les membres du personnel. «Nous avons procédé à une évaluation, avant et après l’introduction du standard grison, et les cas consignés de transgression ont augmenté de façon exponentielle depuis l’année passée. Est-ce devenu plus dangereux chez nous?», interroge Dominique Cerveny avec un clin d’œil. «Bien sûr que non! C’est juste que nous avons instauré une culture de l’observation et que nous gérons maintenant le sujet sciemment et avec professionnalisme.» * Reka Schweighoffer est collaboratrice scientifique de l’association de branche Curaviva. Introduction en images du standard grison dans l’EMS Serata
10 ARTISET 03 I 2024 À la une Comme dans le domaine du grand âge il y a quelques années, les transgressions retiennent de plus en plus l’attention dans le monde du handicap. La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) a approuvé mi-juin une prise de position dans laquelle les cantons se déclarent notamment favorables à l’idée de développer la protection contre la violence dans les structures stationnaires Elisaabeth Seifert Les cantons admettent la nécessité d’agir Depuis quelque temps, on prend de plus en plus conscience que les personnes d’un certain âge sont davantage concernées par la violence et les abus de pouvoir psychiques ou physiques. De tels comportements transgressifs résultent de la fragilité des personnes âgées, qui les rend dépendantes de leur entourage, de leurs proches, mais aussi des équipes professionnelles dans les domaines ambulatoire et stationnaire. Le rapport du Conseil fédéral intitulé «Prévenir la violence envers les aînés», publié il y a quelque quatre ans en réponse à un postulat parlementaire, a été un facteur de sensibilisation important. Il a révélé que chaque année en Suisse, entre 300 000 et 500 000 personnes âgées de 60 ans et plus subissent des violences, dont seule une petite partie est connue. Pour informer le public et soutenir les victimes de maltraitances et leur entourage, le Centre de compétence national Vieillesse sans Violence a été créé il y a environ deux ans. Il fournit un toit commun à trois organisations actives dans les différentes régions linguistiques, leur permettant de poursuivre leurs activités d’information. Tandis que la sensibilisation à la thématique de la violence s’améliore lentement dans le domaine du grand âge, c’est encore rarement le cas dans celui du handicap, où il se pourrait qu’un rapport du Conseil fédéral joue aussi un rôle déclencheur: en juin dernier, avec son rapport «Violences subies par des personnes handicapées en Suisse», le Conseil fédéral a donné suite au postulat transmis par le Parlement de la conseillère aux États PS soleuroise Franziska Roth. Des différences dans la protection contre la violence Comme la Suisse dispose de très peu de données fiables, le rapport ne contient
ARTISET 03 I 2024 11 pas de chiffres concrets comparativement à celui relatif aux personnes âgées portant sur la même thématique. Or, des études menées dans les pays voisins montrent que «les femmes et les hommes en situation de handicap sont plus souvent exposés aux violences physiques, psychologiques et sexuelles que la moyenne». Toujours selon ce rapport, cette problématique est renforcée par des facteurs structurels, tels que les inégalités dans les domaines du logement et du travail, ou encore l’accès limité aux offres de conseil et de soutien. «Les personnes vivant dans des institutions spécialisées, dépendant de l’aide de tiers ou ne disposant pas des pleines capacités à communiquer» sont particulièrement vulnérables. Sur la base de ces appréciations, le Conseil fédéral formule une série de mesures à l’attention de l’administration fédérale. De plus, la Confédération adresse des recommandations aux cantons, qui ont notamment la compétence de délivrer les autorisations aux institutions pour personnes en situation de handicap et de les surveiller. Les recommandations prioritaires sont d’harmoniser et de développer les mesures cantonales de protection contre la violence dans les structures stationnaires. D’autres concernent la garantie de l’accessibilité des offres de conseil et de protection ainsi que la promotion de la formation continue et de la mise en réseau des professionnel·les. À mi-juin 2024, l’assemblée plénière de la CDAS a approuvé une prise de position qui reconnaît la nécessité d’agir décrite dans le rapport du Conseil fédéral, l’analyse en détail et propose des mesures. Sous la houlette de la CDAS, la prise de position est élaborée depuis juin 2023 par diverses instances du domaine du handicap, notamment sur la base de sondages auprès de l’ensemble des cantons et de débats avec des représentantes et représentants des services cantonaux en charge du handicap de toutes les régions de Suisse. Selon l’état des lieux de la CDAS dans le cadre de la procédure d’autorisation des institutions stationnaires, une grande partie des cantons réclame des instruments de protection contre la violence et les agressions. On peut lire dans la prise de position que l’analyse des enquêtes montre toutefois une grande hétérogénéité de ces instruments. La demande la plus fréquente concerne des concepts de prévention et de protection contre la violence, les abus et les mauvais traitements. L’état des lieux montre par ailleurs que seule la moitié environ des cantons exige des institutions la mise en place d’un service de signalement interne auquel peuvent s’adresser les personnes concernées par la violence. Le canton de Zoug a entièrement transformé la surveillance Pour mettre en œuvre les recommandations du Conseil fédéral, la prise de position propose d’instituer un groupe de travail composé de représentantes et représentants de cantons de toutes les régions de Suisse, auquel il appartient de rassembler des exemples de bonne pratique des cantons puis de les mettre à la disposition des institutions. Anita Müller-Rüegg, codirectrice du service cantonal zougois en charge du handicap et des prestations d’accompagnement, souligne que beaucoup de cantons se préoccupent depuis longtemps du thème de la violence à l’égard des personnes en situation de handicap. Elle a participé à l’élaboration de la prise de position et explique qu’au sein des institutions, il s’agit tout particulièrement de sensibiliser le personnel aux formes subtiles de maltraitance. Pour ces raisons, la CDAS a par exemple plaidé pour que l’on réfléchisse aussi à la gestion des mesures privatives de liberté en lien avec le thème de la violence. «Comme les mesures privatives de liberté sont par définition violentes, il faut faire très attention dans leur application», affirme Anita Müller. Avec sa nouvelle loi sur les prestations pour les personnes en situation de handicap et ayant besoin d’accompagnement, entrée en vigueur en début d’année, le canton de Zoug a notamment défini clairement les instruments dont les institutions doivent disposer en matière de protection contre la violence. Plusieurs concepts et l’obligation d’introduire un service de signalement interne en font partie. «En raison du débat national, nous avons choisi le thème de la violence. Par exemple, on contrôle quels actes de violence sont documentés et comment on y a réagi.» Anita Müller Rüegg, canton de Zoug
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ARTISET 03 I 2024 13 Anita Müller en est convaincue, «pour parvenir à améliorer la qualité en rapport avec un sujet aussi sensible que la violence et les transgressions, il ne faudrait toutefois pas se contenter de telles réglementations». Le canton de Zoug a ainsi entièrement transformé la surveillance des institutions dès 2019: tous les quatre ans, le service cantonal du handicap rend visite aux institutions à raison de une à deux demi-journées chacune. «Lors de ces visites, nous ne parlons pas seulement avec la direction de l’établissement, mais aussi avec le personnel et les personnes en situation de handicap.» Un nouveau thème principal est défini lors de chaque cycle de visites. «Cette fois-ci, en raison du débat national, nous avons choisi le thème de la violence.» Anita Müller précise que dans ce contexte, on contrôle par exemple quels actes de violence sont documentés et comment on y a réagi. Il s’agit aussi de déterminer si le personnel connaît les concepts. «En ce qui concerne les bénéficiaires de prestations, donc les résidentes et résidents, cela nous intéresse de savoir ce qu’ils peuvent entreprendre quand ils ont un mauvais sentiment.» Beaucoup d’institutions ont d’abord dû s’habituer à la nouvelle forme de surveillance. «Entretemps, les choses se sont mises en place et nous recevons aussi des réactions positives», observe Anita Müller. Les visites sont particulièrement bien accueillies par les personnes en situation de handicap: «Elles se réjouissent que le canton parle avec elles et les écoute.» Le canton de Lucerne fait vérifier ses concepts Comme dans le canton de Zoug, les autorités cantonales lucernoises rendent régulièrement visite aux institutions pour personnes en situation de handicap. «Nous vérifions s’il existe des concepts, notamment dans le domaine de la prévention de la violence et de l’intervention de crise, comment ils sont mis en œuvre au quotidien et si des formations internes sont organisées», assure Heidi Schwander, responsable du département en charge du handicap et de l’accompagnement, ayant elle aussi participé à l’élaboration de la prise de position. «Lors de nos visites, nous essayons d’avoir des contacts directs avec les bénéficiaires de prestations». Heidi Schwander explique que le canton de Lucerne dispose d’un concept de surveillance similaire à celui de Zoug. Elle apprécie les échanges entre les cantons, en Suisse centrale et au sein des groupes de travail de la CDAS. «Pourquoi réinventer la roue quand on peut se baser sur les instruments d’autres cantons qui fonctionnent bien?» Dans le contexte des débats actuels sur la violence, et parce que les lignes directrices cantonales existantes commencent à dater, les responsables du canton de Lucerne se penchent actuellement sur de possibles adaptations. Aucune directive détaillée n’est disponible à ce jour. Il n’y a ainsi pas d’obligation de gérer un service de signalement interne dans le canton de Lucerne, mais environ une institution sur deux en a un. «Les institutions qui ont un service de signalement et proposent des formations continues correspondantes sont mieux sensibilisées à la thématique», fait remarquer Heidi Schwander. Depuis 2023, les institutions lucernoises doivent rendre compte du nombre de mesures privatives de liberté et de leur nature dans le cadre du reporting annuel sur la qualité. «De telles mesures sont l’expression de la violence structurelle et méritent donc une attention particulière.» Le simple fait de définir les mesures privatives de liberté est déjà très exigeant. Et Heidi Schwander de préciser: «Avec l’obligation de rendre compte de cette mesure, nous avons lancé un débat général sur le thème de la violence. Grâce à de telles discussions, il est possible de favoriser une attitude commune sur la question et de comprendre tout ce qu’englobe la violence», souligne encore Heidi Schwander. Sensibilisation des proches et de la société Heidi Schwander et Anita Müller insistent toutes les deux sur le fait que le débat sur la violence à l’égard des personnes en situation de handicap doit être mené à large échelle. La Confédération a une responsabilité toute particulière à cet égard. Anita Müller réclame une campagne publique de sensibilisation et d’information: «Les personnes en situation de handicap subissent régulièrement des transgressions en tout genre dans l’espace public.» Un travail de sensibilisation doit également être effectué auprès des proches. Et les personnes en situation de handicap doivent savoir qu’elles ont le droit de s’exprimer si elles se sentent mal à l’aise dans et face à une situation. Heidi Schwander plaide pour que le vaste travail de sensibilisation dans le domaine du grand âge, incluant toutes les parties de la société, profite aussi aux personnes en situation de handicap. «Nous ne devons pas réfléchir en termes de catégories d’âge ou de types d’habitat, mais par rapport aux besoins, et ceux-ci sont très similaires pour les personnes âgées et celles en situation de handicap.» «Avec l’obligation de rendre compte des mesures privatives de liberté, nous avons lancé un débat général sur le thème de la violence.» Heidi Schwander, canton de Lucerne À la une
14 ARTISET 03 I 2024 Des transgressions peuvent se produire à tous les niveaux d’une organisation, à l’intérieur et à l’extérieur: entre les personnes ayant besoin de soutien, dans leurs relations avec le personnel spécialisé ainsi qu’avec les proches et l’environnement social, entre les membres du personnel et avec des services ou organes supérieurs ou subordonnés. Les transgressions peuvent être très subtiles, par exemple par une communication manipulatrice, ou violer des droits (fondamentaux) de manière flagrante. Le nouveau guide d’Artiset «Konzept zum Umgang mit Macht, Grenzverletzungen und Gewalt» (concept de gestion du pouvoir, des transgressions et de la violence) a pour but de protéger l’intégrité psychique et physique de toutes les parties prenantes. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’adopter une culture permettant de reconnaître les transgressions et d’aborder ouvertement le sujet, et ainsi de comprendre les causes des problèmes et de prendre les mesures appropriées. Guide pour la prévention de la violence Artiset a élaboré un guide relatif à la gestion du pouvoir, des transgressions et de la violence, dont le but est d’aider les institutions à développer leur propre concept de prévention et de gestion des transgressions. Verena Baumgartner* LIEN VERS LE GUIDE ARTISET QUESTIONS-CLÉS Les questions clés aident les organisations à approfondir chaque catégorie et à mener une réflexion sur le sujet. Elles permettent de remettre en question les procédures et structures existantes et proposent des suggestions pour le développement. MESURES Les mesures proposent des recommandations d’action concrètes. Elles indiquent les démarches pouvant être entreprises afin de renforcer la prévention, l’intervention et le suivi. Le guide d’Artiset tient compte des outils existants tels que le standard grison. Au moyen d’un modèle en nid d’abeille, il parcourt de manière méthodique le paysage de la prévention et aide à identifier les structures, procédures et mesures pertinentes ainsi qu’à sa mise en œuvre. Il distingue à cet effet trois aspects: la prévention, l’intervention et le suivi. * Verena Baumgartner est coordinatrice Thématiques transversales chez Artiset. Le guide a été élaboré par l’entreprise Andrea Gehrig GmbH sur mandat d’Artiset. Dans le guide, les différents aspects s’accompagnent de questions-clés, de mesures, de conseils et d’informations complémentaires:
ARTISET 03 I 2024 15 À la une CONSEILS Les conseils sont des recommandations issues de l’expérience pratique et ne prétendent pas à l’exhaustivité. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES Ce champ renvoie à des informations supplémentaires qui permettent aux organisations d’approfondir le sujet. 1Qu’est-ce qui empêche ou prévient l’apparition d’abus de pouvoir et de violences? ■ Principes et valeurs: ils permettent de mettre en place une culture du respect et de la vigilance fondée sur des valeurs, qui sensibilise et promeut les comportements exemplaires. ■ Connaissances et savoir: grâce à des formations ciblées, les personnes ayant besoin de soutien et les responsables peuvent approfondir leurs connaissances et leur compréhension des dynamiques de pouvoir, des transgressions et de la violence. Ce savoir renforce la prise de conscience, offre un cadre d’action clair et une orientation juridique, et favorise l’autonomie de toutes les parties prenantes. ■ Structures et canaux: ils offrent la possibilité d’aborder les sujets du pouvoir, de l’abus de pouvoir, des transgressions et de la violence. Ils assurent la transparence et garantissent que des mesures appropriées sont prises. 2 Comment réagir aux incidents au moment où ils se produisent et immédiatement après? ■ Désescalade de la situation ■ Traitement des événements ■ Système de signalement 3 Comment concevoir un accompagnement approprié à long terme des personnes impliquées et concernées ainsi qu’un processus d’apprentissage continu? ■ Programmes de suivi pour les personnes directement impliquées et celles indirectement concernées ■ Documentation des incidents ■ Analyse systématique des incidents (évaluation des données) et réflexion à ce sujet PRÉVENTION Connaissances et savoir Structures et canaux Principes fondamentaux et valeurs Traitement des événements Documentation des incidents Système de signalement Analyse, évaluation des données et processus de réflexion Désescalade Programmes de suivi INTERVENTION PRÉVENTION DE LA VIOLENCE SUIVI 1. 2. 3. Mesures préventives Mesures réactives en cas d’incident Mesures à long terme et processus d’apprentissage continu
16 ARTISET 03 I 2024 La voix des bénéficiaires trouve un écho À la une Frédéric Lüscher, dit Freddy, accoudé au bar du futur kiosque La Pinte à Didi, un lieu de rencontre. Chaque semaine, les bénéficiaires peuvent y retrouver Madame et Monsieur SOS. Photo: amn
ARTISET 03 I 2024 17 Au Foyer, à Lausanne, deux instances internes permettent de traiter les situations problématiques: la Commission Bientraitance et le binôme Madame et Monsieur SOS. Grâce au dispositif «Prévention de la maltraitance – Promotion de la bientraitance» officiellement introduit en 2016, la parole des bénéficiaires serait davantage respectée et prise en considération dans les décisions internes de l’institution. Anne Marie Nicole Au numéro 90 de la route d’Oron, sur les hauts de Lausanne, la vieille bâtisse qui a abrité pendant plus d’un siècle l’association Le Foyer a cédé la place à un bâtiment flambant neuf. L’institution a vu le jour en 1900, à l’initiative d’une institutrice vaudoise qui voulait combler l’absence de places d’accueil pour des enfants aveugles ou malvoyants présentant simultanément une déficience intellectuelle. Devenu un centre de compétence reconnu dans le domaine des déficiences visuelles, Le Foyer accueille aujourd’hui une centaine d’adultes dans des unités de vie et des ateliers d’activités et propose également depuis une quinzaine d’années diverses structures spécialisées pour l’accueil d’une trentaine d’enfants et de jeunes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). La porte d’entrée du nouveau bâtiment donne accès à un vaste hall baigné de lumière qui se prolonge de part et d’autre en de larges couloirs. En face, les baies vitrées donnent sur une terrasse et sur un parc où se dressent trois petits immeubles construits quelques années plus tôt pour abriter les unités de vie et les centres de jour. Le bâtiment principal comprend une réception, des locaux administratifs, des ateliers, un magasin, un restaurant, quatre lieux de vie et une salle polyvalente. Au rez-de-chaussée, flotte encore comme une odeur de peinture fraîche. Le rouge ocre d’une paroi contraste avec le blanc immaculé du reste de l’espace. Pour l’heure, il n’y a nulle signalétique, hormis des mains courantes en bois clair qui courent le long des murs et servent de guide. Seuls un petit fauteuil et un présentoir avec quelques brochures occupent un coin du hall d’entrée, non loin de la réception. «Nous avons emménagé il y a quelques semaines seulement et nous avons encore besoin de temps pour finaliser les nombreux détails», explique Marie-Anne Cristuib, éducatrice spécialisée, responsable de secteur et coordinatrice du dispositif «Prévention de la maltraitance – Promotion de la bientraitance». L’inauguration des lieux est prévue à mi-septembre. La Pinte à Didi Au rez inférieur, Frédéric Lüscher, dit Freddy, est impatient. Il inspecte le contenu des placards et du frigidaire dans ce qui sera très bientôt La Pinte à Didi, un kiosque ainsi nommé en référence à la terminaison phonétique de Freddy et de son camarade Hansruedi, tous deux responsables de ce futur lieu de rencontre et de socialisation. Freddy, la septantaine, est arrivé au Foyer à l’âge de 19 ans, après avoir séjourné dans d’autres institutions dès son plus jeune âge, «à une époque où les claques et les engueulades ne choquaient pas grand monde», raconte-t-il. Quant à Hansruedi, 94 ans, il réside au Foyer depuis 1941! Outre la responsabilité du kiosque, les deux résidents font également partie de la Commission Bientraitance. Au sein de l’association Le Foyer, les premières réflexions autour de la maltraitance remontent au début des années 2000, tandis que le Canton de Vaud légiférait sur les mesures de contrainte et de contention appliquées aux personnes
18 ARTISET 03 I 2024 en situation de handicap, à la suite de situations de maltraitance survenues dans des établissements vaudois et qui avaient alors défrayé la chronique. Si Le Foyer a commencé à mettre en place les différentes mesures destinées à prévenir la maltraitance et promouvoir la bientraitance dès 2006, ce n’est qu’en 2016 que le dispositif Bientraitance a été officiellement documenté et enregistré dans le système Qualité de l’association. Cette documentation énonce les principes de base, décrit les voies de signalement de situations de maltraitance ainsi que les conséquences encourues. Elle propose également une définition de la maltraitance, reprise des travaux du Conseil de l’Europe et qui englobe les actes, volontaires ou non, tels que les abus physiques et sexuels, les préjudices psychologiques, les abus financiers, les négligences et les abandons d’ordre matériel ou affectif. «Plutôt que de maltraitance, nous préférons parler de non-bientraitance», précise Marie-Anne Cristuib, citant en exemple des comportements inadéquats de membres du personnel qui relèvent de l’abus de pouvoir, de la négligence ou d’un manque de respect: tutoyer les bénéficiaires sans leur accord, leur attribuer des sobriquets, ouvrir un colis à la place de la personne à qui il est adressé, fumer à l’extérieur en présence d’une ou d’un bénéficiaire sans se préoccuper de savoir si cela l’incommode, etc. «Ces pratiques ne sont pas graves en soi, mais ce sont des abus de pouvoir et des manques de considération qui doivent être signalés et traités.» Monsieur et Madame SOS Au Foyer, deux instances internes permettent de prendre en charge les situations problématiques: la Commission Bientraitance et la permanence de signalement assurée par le binôme Madame et Monsieur SOS. Le binôme SOS, une fonction occupée par des collaboratrices ou collaborateurs du Foyer, est l’autorité exécutive du dispositif. Il gère et traite les plaintes, qu’elles émanent des résidentes ou résidents qui se sentent ou qui sont maltraités ou des membres du personnel qui se sentent ou sont maltraités par des résidentes ou résidents. Si les plaintes étaient nombreuses à l’époque de la mise en place du dispositif, le binôme n’en traite actuellement plus qu’une poignée chaque année, rapporte Marie-Anne Cristuib, qui a officié comme Madame SOS avant de reprendre la responsabilité du dispositif dans son ensemble. Une fois par semaine, le binôme SOS est présent au kiosque, à disposition des bénéficiaires. Les situations rapportées concernent généralement des insatisfactions liées à la vie quotidienne dans l’institution, des attitudes peu respectueuses à leur encontre ou des inquiétudes quant au respect de leurs droits. Selon la nature et la gravité des cas, le binôme les règle directement en discutant avec les personnes concernées, par le biais d’une médiation ou d’une réparation. En cas de situation complexe et de maltraitance avérée, Madame et Monsieur SOS la dénoncent auprès des responsables pour la faire cesser et réinstaurer une cohabitation sereine. Les résidentes et résidents non verbaux qui n’ont pas accès par leurs propres moyens à Madame et Monsieur SOS bénéficieront prochainement du soutien d’ambassadrices et d’ambassadeurs de la bientraitance. Le cœur du dispositif Bientraitance Quant à la Commission Bientraitance, composée de dix personnes auto-représentantes, elle constitue l’autorité législative. «C’est le cœur du dispositif», résume Marie-Anne Cristuib qui anime les quelques réunions annuelles de la commission. Le rôle de cette instance est en effet essentiel puisqu’elle traite des thèmes liés à la prévention de la maltraitance et promotion de la bientraitance en vue d’améliorer la prise en considération des bénéficiaires et les bonnes pratiques professionnelles. Elle élit Madame et Monsieur SOS, les soutient et évalue leur travail. Elle valide les changements de textes ou de procédures du dispositif. Surtout, les membres «Plutôt que de maltraitance, nous préférons parler de non bientraitance, par exemple des comportements inadéquats de membres du personnel qui relèvent de l’abus de pouvoir, de la négligence ou d’un manque de respect.» Marie Anne Cristuib, coordinatrice du dispositif «Bientraitance» À la une
Vos avantages avec AbaCare AbaCare vous permet de saisir et de gérer efficacement toutes les données de base par client. Différents types d‘événements liés aux résidents, tels que l‘admission, le changement de chambre ou le séjour à l‘hôpital, sont clairement enregistrés sous forme numérique et servent de base pour le calcul mensuel des réservations des résidents. Les prestations par client sont automatiquement générées pour la facturation - le tout intégré dans un seul système. La gestion de l‘EMS bien en main AbaCare - Le logiciel pour les homes et institutions sociales Plus d’informations sur : abacus.ch/abacare de la commission font remonter les doléances ou propositions des bénéficiaires et signalent au binôme SOS des situations personnelles ou institutionnelles qui leur paraissent maltraitantes. Membre de la Commission Bientraitance depuis sa création en 2010, Frédéric Lüscher est un homme réfléchi, attentif et bienveillant, soucieux de favoriser la bonne cohabitation et la compréhension mutuelle. Il aime les gens et n’hésite pas à défendre leur cause. Il observe et reste à l’écoute de ses pairs. Il n’a jamais été confronté à des situations de maltraitance grave. «Je suis surtout là pour sensibiliser et calmer le jeu», affirme-t-il. Il relate aussi deux actions menées par la commission qui illustrent combien la bientraitance ou la non-bientraitance est parfois une affaire de sensibilité à ne pas sous-estimer. La première concerne un changement d’appellation: estimant être des adultes qui n’ont plus besoin d’être éduqués, les bénéficiaires ont demandé que les éducatrices et éducateurs soient désormais appelés accompagnatrices et accompagnateurs. La deuxième action concerne la mise en place d’une procédure écrite relative à la gestion des appels téléphoniques professionnels reçus par le personnel durant les repas, par égard envers les résidentes et résidents qu’il accompagne. Un renversement de pouvoir Frédéric Lüscher se réjouit de constater que depuis la mise en place du dispositif Bientraitance, la parole des bénéficiaires est davantage respectée et prise en considération dans les décisions. Marie-Anne Cristuib n’hésite pas à parler de renversement de pouvoir. «L’institutionnalisation est en soi une source de maltraitance. Les bénéficiaires n’ont pas choisi les personnes avec lesquelles vivre. Il importe donc qu’elles et ils puissent librement faire part de leur désaccord, dire ce qui ne leur convient pas et exprimer leurs attentes.» À ses yeux, la bientraitance passe aussi par le respect des habitudes de vie de chacune et chacun, selon le modèle du processus de production du handicap (MDH-PPH) adopté par l’institution. L’enjeu est d’autant plus complexe qu’il s’agit de concilier les habitudes de vie pas toujours compatibles des deux populations accueillies au Foyer. «Certaines habitudes sont atypiques», explique Marie-Anne Cristuib. «Les personnes avec un TSA peuvent exprimer leur joie par des cris, mais ces cris peuvent créer des angoisses et des réactions violentes chez les personnes aveugles et malvoyantes avec une déficience intellectuelle.» S’impose alors un travail d’information et de sensibilisation pour améliorer la compréhension mutuelle et prévenir les crises et les situations complexes. Mais la coordinatrice du dispositif Bientraitance reste confiante: un jour, un résident est venu lui dire «si vous ne faites pas quelque chose, je vais le taper», faisant allusion à une personne du secteur TSA dont il ne supportait plus les cris. «Savoir qu’il a le droit de venir nous dire que cela ne va plus, qu’il n’est pas victime mais qu’il risque de devenir agresseur: c’est un bon exemple de l’efficacité de notre dispositif Bientraitance.»
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