Développer et mettre en place des innovations

ARTISET 02 I 2023 47 Le coffret méthodologique Une première phase de test réalisée auprès de dix-neuf enfants et adolescent·es (seize en institution, trois à la maison) a montré que le principe fonctionne. Tout au début, les jeunes étaient néanmoins quelque peu perplexes face à la page blanche. En temps normal, un journal intime se présente différemment. Si on leur avait donné du papier et des feutres, l’entrée en matière aurait été beaucoup plus intuitive, Andrea Abraham en est bien consciente. Mais «la simplicité des pages est un choix délibéré, afin que les enfants de tout âge puissent s’en servir». En quelques clics, il est possible d’activer des gadgets supplémentaires, des couleurs ou des figurines qui se déplacent dans la page. Néanmoins, ce sont les annotations, les vidéos et les photos du quotidien de l’enfant qui animent le contenu. Pour éviter que la page numérique vierge ne décourage et pour permettre aux enfants et adolescent·es de trouver une entrée en matière créative avec leurs personnes de référence, l’équipe a développé un coffret méthodologique. Les enfants et adolescent·es et leurs accompagnant·es ont d’abord construit, selon la méthode Lego Serious Play, un lieu qui leur procure un sentiment de bien-être. Une discussion s’en est suivie sur la signification de ce lieu et sur ce qui le rend aussi important à leurs yeux. D’une part l’équipe de recherche a ainsi obtenu de premières indications sur ce qui compte vraiment pour les jeunes en termes d’appartenance. D’autre part, un éventail d’outils facilitant l’entrée sur une page vierge a vu le jour: écrire le portrait de son doudou ou enregistrer une conversation avec un copain en sont des exemples. Après le grand vide initial, le Polaroïd, le dictaphone ainsi que les modèles de bricolages et de dessins ont favorisé la créativité. Des méthodes d’art-thérapie et des activités pédagogiques ont permis de relier les pages au monde réel et de développer sur cette base des possibilités digitales: la personne de référence a grimpé avec une petite fille sur un arbre où celle-ci s’assied souvent pour observer les autres. C’est son «endroit secret», et il a servi d’entrée en matière parfaite pour un post avec des photos de l’arbre, une description de l’endroit secret et quelques pensées à ce sujet. Une fois les difficultés initiales surmontées, les idées jaillissent de toutes parts, comme réaliser une interview du gentil civiliste affecté à l’école et prendre quelques photos de lui. Ou tourner une vidéo rigolote d’une excursion avec des camarades et y ajouter un dessin ou quelques photos pour illustrer les expériences. Andrea Abraham acquiesce. «C’est comme un journal intime avec des fonctions supplémentaires, nous tissons une toile et numérisons.» L’enregistrement digital est durable Après quelques consignes initiales, les enfants de 10 ans et plus étaient à l’aise techniquement avec la Memorybox, et les jeunes plus âgé·es l’ont utilisée de façon très intuitive. En outre, la première enquête a révélé que même les enfants plus jeunes trouvent des avantages à l’enregistrement digital, «car les feuilles se perdent», comme l’a fait remarquer un enfant de huit ans. Contrairement aux comptes Instagram et autres, ces pages doivent appartenir personnellement à chaque enfant ou adolescent·e. Il est possible d’activer le mode «privé» pour les contributions. La Memorybox parviendra-t-elle à convaincre? On sait déjà que cela dépendra beaucoup des équipes professionnelles des institutions concernées: «En éducation sociale, la valeur du travail biographique est incontestée», affirme Andrea Abraham. Il faudrait maintenant que les professionnel·les se rendent compte de l’importance d’une Memorybox digitale: «Tout dépend d’eux.» Surtout chez les enfants de moins de 10 ans, chez qui l’utilisation d’outils numériques est en général gérée de façon très restrictive, et qui ont d’autant plus besoin de soutien pour s’en servir. Quant aux jeunes, un créneau horaire spécial est nécessaire et il faut parfois les pousser un peu pour s’y mettre. Considérant toutes les tâches que les éducatrices et éducateurs sociaux assument par ailleurs, le manque de temps et la pénurie de personnel, ce sont «des conditions difficiles pour introduire un nouvel instrument supplémentaire», affirme en souriant la professeure. Mais elle espère que beaucoup de responsables d’institutions se laisseront convaincre par la pertinence de ce concept: la stigmatisation complique l’évolution et les possibilités de développement des enfants et des jeunes en placement extrafamilial et la période vécue en foyer est tellement difficile à intégrer dans leur parcours de vie que pour la construction identitaire et l’image de soi, il est capital de rassembler et d’emporter avec soi les moments précieux. Une Memorybox digitale peut être un élément constitutif important d’un récit de vie: «Comme un fil rouge, elle peut empêcher que les souvenirs de l’enfance ne se délitent.» «La Memorybox est un recueil de moments vécus importants, qu’ils soient tristes ou heureux.» Andrea Abraham L’actu

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