Développer et mettre en place des innovations

ARTISET Le magazine des prestataires de services pour les personnes ayant besoin de soutien. À la une Développer et mettre en place des innovations Un projet d’habitat dans le canton de Genève expérimente le vivre ensemble inclusif Une Memorybox digitale aide les enfants et les jeunes à se souvenir Identifier les opportunités pour l’avenir grâce à un système de gestion des risques Édition 02 I 2023

1/1 Seite randabfallend, 210x297mm 1/1 Seite Satzspiegel, 180x270mm www.Lohmann-Rauscher.com L&R : une présence internationale, un enracinement régional. L'homme au cœur des préoccupations. Son bien-être est au centre de notre activité. Nous sommes fournisseur de solutions. Nous sommes à vos côtés. Avec expertise et assiduité. Lohmann & Rauscher (L&R) est une entreprise internationale majeure de dispositifs médicaux et de produits d'hygiène haut de gamme. Vous nous trouverez en Suisse sur le site de St-Gall. Fournisseur de solutions pour des exigences complexes en soin et traitement des patientes et patients, nous développons, produisons et distribuons entre autres des produits, concepts et services destinés au traitement des plaies, des bandes et des pansements, des systèmes de trousses opératoires pour hôpital et cabinet, ainsi que des produits pour le traitement par pression négative (CNP). Notre champ de compétences. La santé définit notre vision et nos valeurs. Vers notre boutique en ligne : Lohmann & Rauscher AG · Oberstrasse 222 · 9014 St. Gallen · Suisse

ARTISET 02 I 2023 3 Éditorial «Les organisations des domaines du social et de la santé, ainsi que chaque professionnel·le à titre individuel jouent un rôle décisif dans le processus d’innovation.» Elisabeth Seifert, rédactrice en chef Chère lectrice, cher lecteur, Ce n’est que récemment, dans le cadre de la votation sur le climat que la discussion s’est ouverte, en Suisse, sur la nécessité d’innover: les nouvelles technologies sont au cœur de la protection du climat. Le projet prévoit d’aider les entreprises à investir dans des technologies innovantes permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le domaine des technologies respectueuses de l’environnement n’est cependant pas le seul dans lequel les entreprises sont appelées à se développer et à mettre de nouveaux produits et services sur le marché répondant aux besoins en constante évolution de leurs clients. Pour de nombreuses entreprises de notre pays, qui y consacrent désormais les fonds nécessaires, innover est devenu une évidence. Des innovations s’imposent également dans les domaines du social et de la santé. Les évolutions dans notre société exigent de nouvelles idées, de nouvelles méthodes ou approches en matière de conseil, de soins et d’accompagnement des personnes vulnérables. Mais, à la différence des innovations technologiques, la nécessité d’innover sur le plan social n’est encore que peu perçue, tant par le grand public que par les milieux politiques, les pouvoirs publics ou les prestataires de services. Dans l’entretien qu’elle a accordé au magazine Artiset, Anne Parpan, de la Haute école de travail social FHNW, montre par exemple de quelle manière la CDPH, mais également le vieillissement de notre société, permet d’ouvrir un vaste champ d’action pour des projets novateurs (page 10). Tout en soulignant que les conditions cadres particulières dans les domaines du social et de la santé imposent de mettre sur pied des programmes d’encouragement spécifiques, pour soutenir les évolutions indispensables à l’échelle nationale. C’est la raison pour laquelle s’est créée l’Association pour la promotion de l’innovation sociale (page 16). L’association entend donner l’impulsion nécessaire aux innovations par la mise en réseau des hautes écoles, des prestataires et des bénéficiaires de services, mais également en encourageant des méthodes de travail participatives. Comme le montrent les reportages à La Une, tant les organisations des domaines du social et de la santé que chaque professionnel·le à titre individuel jouent un rôle décisif dans le processus d’innovation: c’est sur le terrain, là où des professionnel·les s’engagent pour apporter des améliorations aux personnes qui leur sont confiées, que naissent les innovations. Il faut pour cela de la curiosité et du courage, et accepter de prendre un certain risque. Dans l’essai qu’il vient de publier, Markus Leser, senior consultant auprès de l’association de branche Curaviva, invite les prestataires à ne pas attendre que pouvoirs publics et assureurs résolvent les problèmes mais à jouer eux-mêmes un rôle actif (page 23). Les exemples que nous publions permettent également de constater la considérable force d’innovation du travail collaboratif, que ce soit entre divers prestataires, mais aussi entre instituts de recherche et personnes concernées. La nouvelle loi sur les entreprises du domaine social du canton de Zoug (page 29) repose elle aussi sur la collaboration, en intégrant le point de vue des personnes concernées et l’expérience de prestataires novateurs. Photo de couverture: 24 pictogrammes sous la main, pour communiquer dans toutes les situations. Un projet développé par la Fondation Clair Bois, dans le canton de Genève. Photo: amn

Patronage Presenting Partner & Exklusive Partner «Best of the Best» Presenting Partner Organisateur Produits d‘entreprises d‘intégration de Suisse Socialstore Award 2023 D‘excellents produits issus des institutions sociales  Participez maintenant  Les Socialstore Awards récompensent les produits et les innovations des ateliers d‘entreprises d‘intégration en Suisse. Des prix seront décernés dans 4 catégories :  Coopération Alimentation / Goût & Spécialités  Maison & Décoration Cadeaux d‘entreprise La date limite de participation est le 20 septembre 2023. La remise des prix aura lieu le 21 novembre 2023 à l‘occasion de la journée commune d‘INSOS à l‘Eventfabrik de Berne. Toutes les informations complémentaires et le formulaire d‘inscription sont disponibles sur www.socialstore.ch La Suisse recherche les meilleures idées et les meilleurs produits issus des institutions sociales NOUVEAU : Prix du public «Best of the Best» – présenté par sozjobs.ch

ARTISET 02 I 2023 5 Sommaire SONT CERTIFIÉES CRADLE TO CRADLE NOS ENCRES D’IMPRESSION Impressum. Rédaction: Elisabeth Seifert (esf), rédactrice en chef; Urs Tremp (ut); Claudia Weiss (cw); Anne-Marie Nicole (amn); France Santi (fsa); Jenny Nerlich (jne) • Correction: StephanDumartheray •Éditeur: ARTISET • 2ème année •Adresse: ARTISET, Zieglerstrasse53,3007Berne•Téléphone:0313853333,e-mail:info@artiset.ch,artiset.ch/ magazine • Annonces: Zürichsee Werbe AG, Fachmedien, Laubisrütistrasse 44, 8712Stäfa, téléphone: 044 928 56 53, e-mail:markus.haas@fachmedien.ch•Graphisme et impression: AST&FISCHER AG, Seftigenstrasse 310, 3084 Wabern, téléphone: 031 963 1111 • Abonnements: ARTISET, téléphone: 031385 33 33, e-mail: info@artiset.ch •Abonnement annuel CHF 125.– •Parutions: 8× allemand (4600 ex.), 4× français (1400 ex.) par année • Certification des tirages par la REMP 2022 (pour la version en allemand): 3205 ex. (dont 2989 ex. vendus) • ISSN: 2813-1363 • réimpression, en tout ou partie, selon accord avec la rédaction et indication complète de la source. À la une 6 Le premier service d’expertise infirmière de Suisse 10 La professeure Anne Parpan-Blaser parle des innovations sociales 13 Une maison pour les innovations sociales et la solidarité à Nyon (VD) 16 Une association veut susciter les idées novatrices en soutenant les réseaux 20 Communiquer à l’aide de pictogrammes 23 Markus Leser plaide pour plus de curiosité et courage dans les soins de longue durée 26 Un projet social novateur dans le canton de Genève 29 Le canton de Zoug revoit sa loi sur l’aide aux personnes en situation de handicap Les brèves 32 L’impact de la pandémie L’actu 34 La fondation BSZ l’affirme: la durabilité est rentable - financièrement aussi 38 La gestion des risques dans les institutions 40 Une coopérative d’habitation inclusive 44 Une Memorybox pour les enfants: des souvenirs à emporter partout avec soi 48 Mieux comprendre les comportements difficiles Espace politique 50 Benjamin Roduit, conseiller national 26 44 50

Expertise infirmière mobile: un nouveau modèle À la une

ARTISET 02 I 2023 7 Une experte ou un expert en soins peut accompagner plusieurs établissements. Et une équipe experte en soins infirmiers avec différentes spécialisations peut apporter un soutien professionnel à ces établissements sur divers thèmes en lien avec les soins. C’est l’idée d’Advacare, fondée par Suleika Kummer. Elisabeth Seifert Le nom «Advacare» est une contraction d’advanced care, signifiant soins avancés. La jeune entreprise, une start-up dans le domaine socio-médical lancée il y a environ trois ans, a décidé de se consacrer aux soins avancés, avec un nouveau modèle : l’expertise en soins mobile. Une équipe d’expert·es de différentes spécialisations aide les établissements de soins de longue durée, stationnaires et ambulatoires, à développer en permanence la qualité de leurs soins. La fondatrice et propriétaire d’Advacare, Suleika Kummer, est elle-même une experte mobile en matière de soins. «En fait, je ne suis pas du tout une femme d’affaires», avoue en souriant la jeune femme de 35 ans, même si elle est ravie de la lente croissance de son entreprise. «Mon cœur bat pour les soins», souligne-t-elle. Et tout particulièrement pour les soins de longue durée. Après une formation professionnelle de base d’assistante en soins et santé communautaire avec maturité commerciale, elle a travaillé dans plusieurs institutions de soins de longue durée, avant d’étudier les sciences infirmières à la Haute école spécialisée bernoise, où elle a obtenu un Bachelor. Durant les années qui ont suivi, elle a été responsable du développement des soins dans une institution assez importante implantée sur plusieurs sites. Suleika Kummer tient à préciser que c’est «l’urgence» qui l’a poussée à créer Advacare en 2020, le premier service d’expertise infirmière mobile de Suisse. Par urgence, elle entend les défis auxquels sont confrontées les nombreuses institutions de petite ou moyenne taille, avec lesquelles elle a été en contact lors de rencontres de réseau régionales sur des thèmes spécifiques des soins. «Même s’il y a un grand besoin en soins professionnels, ces institutions manquent souvent de personnel spécialisé qualifié.» Et même dans les EMS assez importants, il n’y a bien souvent pas d’expert·e en soins titulaire d’un diplôme universitaire (Bachelor ou Master). Apprendre les uns des autres La pénurie de personnel qualifié associée au manque de ressources financières complique la tâche de nombreux EMS de petite taille, mais aussi des organisations d’aide et de soins à domicile, qui doivent répondre à des besoins de résident·es ou de client·es de plus en plus complexes. Suleika Kummer observe que peu d’expert·es en soins infirmiers avec un diplôme de Bachelor ou de Master témoignent de l’intérêt pour les soins de longue durée, pour l’instant du moins. Actuellement, 8,4% des expert·es en soins infirmiers titulaires d’un Master (Advanced Practice Nurse, APN) travaillent dans une institution de soins de longue durée, et 6,6% dans une organisation d’aide et de soins à domicile. Dans ce contexte, l’idée de créer une équipe mobile experte en soins infirmiers a germé rapidement. «Un ou une experte en soins infirmiers peut accompagner plusieurs établissements», affirme Suleika Kummer. «Et une équipe composée de plusieurs expert·es ayant des spécialisations différentes peut apporter un soutien professionnel à ces établissements sur diverses thématiques de soins», poursuit-elle. De plus, chaque établissement peut bénéficier des expériences d’autres établissements que l’équipe experte accompagne aussi. «De cette manière, le travail de développement des prestataires est moins important, car ils peuvent reprendre des parties importantes de concepts et investir ainsi leurs ressources dans la mise en application», affirme-t-elle, avant d’ajouter avec conviction: «Le réseautage améliore l’efficacité. Ce n’est qu’ensemble que nous réussirons à développer et à stabiliser la qualité des soins de longue durée.» Pour permettre aux établissements de développer durablement la qualité de leurs soins, le modèle commercial ne fonctionne pas selon le modèle du mandat, mais par Suleika Kummer est la fondatrice et directrice d’Advacare, le premier service d’expertise infirmière mobile de Suisse. Photo: Marco Zanoni

«Moi aussi je me bats. Pour redonner du courage. » Nina Dimitri Chanteuse Le cancer demande du courage. C’est précisément pour cela que nous nous battons : nous incitons mala- des et proches à parler ouvertement de leur cancer et nous les soutenons dans toutes les phases de la maladie. Unis contre le cancer du sein : liguecancer.ch Verser un don

ARTISET 02 I 2023 9 adhésion. Ainsi, les prestataires signent un contrat à durée indéterminée et versent une contribution mensuelle raisonnable calculée en fonction du nombre de lits. En contrepartie, une personne experte en soins infirmiers leur est attribuée comme interlocutrice principale. Son rôle est notamment de réaliser une analyse des besoins, d’élaborer un vaste catalogue de recommandations et d’en extraire trois ou quatre priorités, «qui génèrent le plus grand bénéfice possible pour un investissement acceptable». La cotisation de membre comprend toute une série de prestations, et les heures supplémentaires sont calculées en fonction du temps passé. Selon Suleika Kummer, l’affiliation permet de mettre en œuvre régulièrement des mesures, d’évaluer leur impact et d’examiner avec les responsables s’il en résulte une véritable plus-value. Le succès ne vient pas tout de suite C’est une idée commerciale séduisante, qui n’existe encore nulle part sous cette forme, ni en Suisse, ni ailleurs. Pour élaborer le modèle d’affaires, Suleika Kummer a pu compter dès le départ sur le soutien non seulement de son mari, mais aussi de l’organisation bernoise Be-advanced SA, qui conseille les start-up ayant un potentiel d’innovation. «Tout le monde était convaincu que cela marcherait». Mais le succès n’a pas été tout de suite au rendez-vous comme espéré. «Les débuts ont été très difficiles», reconnaît-elle. D’une part, les institutions étaient absorbées par la gestion de la pandémie de coronavirus. D’autre part, il a fallu faire un travail de persuasion, pour montrer que les prestataires peuvent bénéficier d’un meilleur accès à l’expertise infirmière. Jusqu’à mi-2022, Advacare ne comptait que deux collaboratrices: Suleika Kummer et une collègue qui soutient les institutions comme responsable de la formation. Depuis août 2022, la jeune entreprise prend son essor. L’équipe est maintenant composée de douze personnes: six expertes et un expert en soins infirmiers, deux expertes cliniques, une experte mobile en formation, un correcteur responsable de la bibliothèque spécialisée, et le mari de Suleika Kummer, qui s’occupe du marketing et de l’informatique. Tout le personnel travaille à temps partiel. «Toutes et tous apprécient de pouvoir travailler à temps partiel.» Le principe de l’auto-organisation rencontre aussi un écho favorable, tout comme les échanges professionnels au sein de l’équipe, qui stimulent le développement individuel de chaque membre. «Malgré la pénurie de personnel qualifié, nous recevons des candidatures spontanées», se réjouit Suleika Kummer. L’équipe d’Advacare accompagne actuellement vingt-cinq clients au total, dont dix dans le cadre d’une adhésion: trois organisations d’aide et de soins à domicile et sept EMS. La clientèle provient de cinq cantons alémaniques. «Notre objectif est de nous développer dans toute la Suisse.» En plus des soins de longue durée, Suleika Kummer observe aussi des besoins importants dans le domaine du handicap. «Nous aimerions aussi intégrer progressivement ce domaine dans nos prestations.» «Faire adhérer tous les établissements à l’expertise infirmière» Quand on l’interroge sur sa vision, la directrice d’Advacare répond: «Chaque établissement de Suisse devrait être affilié à l’expertise infirmière.» Mais cela ne veut pas dire qu’Advacare jouerait le rôle d’actrice principale dans ce contexte, même si Suleika Kummer est convaincue de son idée commerciale et souhaite que son entreprise poursuive sur sa lancée. «Avec nos prestations, nous ne cherchons pas à nous attacher les institutions et le personnel soignant. Il nous importe davantage de développer l’expertise technique à la base.» Elle ajoute que les adhésions à durée indéterminée permettent précisément de développer progressivement les compétences du personnel soignant. «Le but d’Advacare est que le personnel de terrain puisse de plus en plus assumer lui-même une grande partie du travail, et qu’il n’ait besoin de nous que pour des situations bien spécifiques», explique-t-elle, et d’ajouter en souriant: «Il s’agit en fait de devenir inutiles pour nos membres!» Actuellement, elle se concentre avec son équipe sur la poursuite de la diversification des prestations. Elle formule en ces termes un principe essentiel d’Advacare: «Nos concepts et nos modalités d’action reposent sur une base scientifique mais sont axés sur la pratique.» De plus, il serait réducteur d’assimiler la qualité des soins à une mise en œuvre sécure des différents processus. «Le bien-être des personnes est toujours au centre des préoccupations.» Dans cette optique, Advacare a élargi son offre avec le rôle d’Advanced Practice Nurse (APN): dans le cadre des «bedside-teachings», un·e infirmier·ière praticien·ne spécialisé·e accompagne l’équipe dans les situations de soins très complexes, s’occupe aussi directement de certaines situations de soins et discute de ses observations dans le cadre des visites avec l’équipe soignante. «C’est par nos interventions pratiques que nous pouvons améliorer le plus directement la qualité de vie des résidentes et résidents.» «Le réseautage améliore l’efficacité. Ce n’est qu’ensemble que nous réussirons à développer et à stabiliser la qualité des soins de longue durée.» Suleika Kummer, fondatrice d’Advacare À la une

10 ARTISET 02 I 2023 À la une L’innovation sociale concerne tous les domaines de la vie. Dans le travail social, il s’agit de concepts, programmes, méthodes, formes d’organisation et de financement inédits, «qui changent fondamentalement le travail social et apportent une plus-value à la clientèle», explique Anne Parpan-Blaser*. Propos recueillis par Claudia Weiss «Une amélioration profonde, solide et durable» Madame Parpan, les innovations sociales concernent certains domaines de notre quotidien comme la mobilité, l’habitat et le travail. Citons par exemple le covoiturage, l’habitat intergénérationnel, le repair-café ou le jardin urbain. Mais que devons-nous comprendre par «innovations dans le travail social»? Anne Parpan-Blaser – En général, les innovations sociales concernent des changements fondamentaux dans le vivre ensemble et l’action sociale. Du point de vue du travail social, on distingue entre les innovations réalisées dans le travail social et celles qui émanent du travail social. Alors que les premières concernent des évolutions dans le domaine spécialisé, les deuxièmes se concentrent sur l’impact sur les mutations sociales. Dans les deux cas, on distingue différents niveaux techniques et sociaux. De quels niveaux parlons-nous? À un premier niveau figurent des programmes, méthodes et concepts très proches de l’action concrète, par exemple le dispositif d’intervention de crise «Speckdrum» pour les personnes autistes, qui est une offre axée sur les besoins et facile d’accès pour les personnes concernées et leurs proches. À un niveau intermédiaire, il s’agit de la prise en charge sociale dans la pratique, par exemple dans la protection de l’enfance, ou dans le contexte régional, comme l’organisation en réseau des services d’aide et de soins à domicile. À un niveau supérieur se retrouvent les grands thèmes de politique sociale comme le système des retraites ou la politique en matière d’addiction de la Confédération. Il s’agit donc de grande politique et de petits projets. De manière générale, il n’est pas du tout facile de définir et de délimiter l’innovation sociale… Effectivement, elle comprend un très vaste domaine. De plus, l’innovation sociale peut faire référence soit à un processus, soit au résultat d’un développement considéré comme inédit, soit à la manière d’aborder un thème ou une problématique. Tout cela semble bien complexe! Ce qu’il faut retenir, c’est que toute bonne idée n’est pas forcément une innovation. Elle ne le devient que si elle est mise en œuvre et qu’elle change la pratique en profondeur, de manière globale et durable. C’est précisément là que réside la difficulté: en fait, on ne peut constater qu’après coup si quelque chose de réellement important a changé et s’il s’agit donc d’une «véritable» innovation. Par conséquent, il convient de parler de degré d’innovation: quelque chose peut être plus ou moins

ARTISET 02 I 2023 11 innovant. L’aspect essentiel à mes yeux est de chercher à améliorer la pratique, en son âme et conscience. Que cela débouche ou non sur une innovation est moins important. Qu’est-ce qu’une amélioration fondamentale et durable? Idéalement, une innovation sociale peut modifier les conditions de survenance d’un problème. Je pense par exemple aux formes d’habitat communautaire pour personnes âgées, qui associent activités et habitat dans la phase de transition de l’âge agile à l’âge fragile. Ses principes fondamentaux sont d’unir les forces (en déclin), d’entreprendre et de développer des activités en commun, de se montrer solidaire, de profiter mutuellement de la richesse des expériences et connaissances. En l’occurrence, il ne faut pas seulement réagir, mais aussi transformer, ce qui est très ambitieux. L’innovation dans le travail social doit toujours être calquée sur les valeurs de base de la profession et apporter une plus-value, en particulier à la clientèle. Vos conclusions s’appliquent-­ elles aussi à nos trois domaines spécialisés enfants et jeunes, personnes en situation de handicap et personnes âgées? Des innovations ont été apportées dans tous les domaines ces dernières années. Dans le domaine des enfants et jeunes, l’approche participative a, par exemple, une importance croissante: les enfants, les jeunes et leurs familles sont davantage impliqués dans le travail social et les concepts sont adaptés en conséquence, par exemple pour les évaluations du bien-être de l’enfant, mais aussi dans le domaine stationnaire. Qu’en est-il dans le domaine des personnes en situation de handicap? Ici, la CDPH est un grand facteur d’innovation sociale: l’idée de l’inclusion contraint à considérer l’ensemble des services et des offres sous un angle entièrement nouveau, avec des possibilités de participation toujours plus nombreuses pour les personnes en situation de handicap. Ce mouvement donne naissance à de nouveaux concepts, comme le modèle d’habitat assisté, mais aussi à des modèles de financement comme celui axé sur les personnes. Et pour finir le domaine des personnes âgées… Ici encore, il y a eu un changement de paradigme: en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, «vieillir» signifie de moins en moins «dépendre de soins». C’est pourquoi dans ce domaine, il s’agit souvent de constituer des réseaux de soutien, de coordonner les services et d’assurer leur accessibilité, de s’orienter vers la collectivité et de développer des communautés de «Toute bonne idée n’est pas forcément une innovation. Elle ne le devient que si elle est mise en œuvre, et si elle change la pratique en profondeur, de manière globale et durable.» Anne Parpan-Blaser Anne Parpan-Blaser fait de la recherche depuis quinze ans sur les innovations dans le domaine du travail social. «Idéalement, une innovation sociale peut modifier les conditions de survenance d’un problème», affirme-t-elle. Photo: privée

12 ARTISET 02 I 2023 soutien. L’évolution démographique et sociale soulève aussi de nouvelles questions, notamment sur des thèmes comme la vieillesse et le handicap ou la vieillesse et la toxicomanie. Cela fait quinze ans que vous faites de la recherche sur l’innovation dans le travail social. Un résultat vous a-t-il surprise? Pas vraiment surprise. Mais plutôt interpellée de voir qu’un processus d’innovation dans lequel beaucoup d’argent a été investi pouvait déboucher sur un résultat très modeste. Non pas en raison du manque de bonnes idées à la base ou de l’absence de connaissances techniques, mais d’une collaboration mal choisie, du peu d’importance accordée à l’impact de l’innovation ou d’un blocage dû à des directives administratives. Faut-il donc un programme d’encouragement pour le développement de prestations dans les domaines du social et de la santé? Oui, il faut de l’argent pour soutenir le développement dans les domaines du social et de la santé. Des investissements et un «capital-risque» sont indispensables, car développer signifie peutêtre aussi échouer. Le booster d’innovation «Co-Designing Human Services» est un coup de pouce dans ce sens. Les organisations des domaines du travail social et de la santé ainsi que la collaboration avec les utilisatrices et utilisateurs des services sociaux recèlent un grand potentiel de développement, et ce serait dommage que ce développement n’ait pas les moyens de se réaliser. Est-il utile d’intégrer ces connaissances aux formations des domaines du travail social? Tout à fait. La compétence d’innovation est importante et mérite qu’on s’interroge: comment, à partir de ses études, s’impliquer activement dans le développement du travail social? Il s’agit ici de coopérer dans des projets, mais aussi d’enrichir l’interface entre science et pratique. C’est notamment une compétence enseignée lors du cursus de master. Il s’agit pour le travail social d’utiliser les connaissances issues de la recherche, de la pratique et des expériences des personnes concernées pour se réinventer. Il est très important de créer de bonnes bases pour des développements inédits: bien démarrer une bonne idée, la communiquer à temps et réfléchir aux personnes qui soutiennent le projet, mais aussi à celles qui pourraient le saborder. Quels problèmes nous préoccuperont tout particulièrement à l’avenir? Le travail social s’est de tout temps intéressé aux inégalités sociales. Demain encore, des questions ayant trait à la précarité, à l’accès au travail et à l’activité lucrative ainsi qu’à une bonne couverture sociale nous préoccuperont. Nous avons aussi déjà évoqué le besoin important de développement face aux changements sociétaux et aux problèmes sociaux liés au vieillissement démographique. La coordination des services spécialisés déjà existants dans les domaines du social et de la santé est un autre sujet de préoccupation, en particulier les prestations et services intégrés. Pour finir, des besoins et opportunités de développement peuvent aussi naître des dernières découvertes de la recherche, permettant d’aborder des problématiques sociales de manière plus précise et efficace. Quel message aimeriez-vous transmettre aux professionnel·les du domaine du travail social? Faites votre place, réfléchissez avec audace, unissez vos forces! Regrouper les ressources permet un meilleur effet de levier pour les changements et les évolutions. Il ne faut pas toujours réinventer la roue; on peut aussi reprendre une innovation, l’adapter et apprendre mutuellement. Les professionnel·les, les bénéficiaires, les citoyen·nes et les chercheur·euses devraient s’unir et déterminer ensemble ce qui est nécessaire et possible. Le travail social a encore un grand potentiel d’innovation. * Prof. Anne Parpan-Blaser, docteure en sciences sociales, enseigne à l’Institut d’intégration et de participation de la Haute école de travail social du nord-ouest de la Suisse. Elle s’engage au sein du Management Board de l’Innovation Booster de l’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale. «Les organisations des domaines du travail social et de la santé présentent un grand potentiel de développement, et ce serait dommage qu’il n’ait pas les moyens de se réaliser.» ➞ innovationsociale.ch

ARTISET 02 I 2023 13 À la une À cinq minutes de la gare de Nyon, aux abords de la rivière l’Asse se dresse la Fondation Esp’Asse et ses 14 000m2 de terrain. Depuis plus de vingt ans, la fondation met à disposition d’associations d’entraide et d’insertion ainsi qu’à des artistes des surfaces à prix abordables. Ainsi, à quelques mètres de l’entrée de l’Association Caritas, «la ruelle des artistes» accueille peintres et photographes dans des pavillons aux toits en verrière, des lieux baignés de lumière propices à la création. Un peu plus haut, la Fondation Profa occupe les derniers étages d’un bâtiment tandis que ceux du dessous sont loués à des artistes. En contrebas de la petite rue des artistes, le doux bruit de l’Asse se fait entendre. Juste au-­ dessus des rives, on devine des locaux désaffectés au beau potentiel. «Il y a encore beaucoup à développer», confirme en souriant Fabienne Freymond Cantone, directrice de la Fondation Esp’Asse et coordinatrice du projet de construction de la Maison des innovations sociales et des solidarités (MISS). «Le site est extraordinaire et recèle des possibilités infinies.» Plus loin, un local inoccupé abritera prochainement un café autogéré. Ouvert sur un large espace vert extérieur, sur deux niveaux et aux poutres apparentes, on imagine volontiers l’atmosphère conviviale de la future buvette. «Ce sera un endroit d’exposition ouvert à toutes et tous ainsi qu’un espace de médiation culturelle pour mettre en valeur le site industriel», explique notre interlocutrice. D’après elle, ce café est une étape clé de tout le projet car il marque les prémices de la Maison des innovations sociales et des solidarités. Lieu de rencontre par excellence, le café fédère et permet en effet de créer des projets! Quant au local jouxtant le café, l’Association l’Ecrou, un atelier de réparation d’objets, s’y installera. «À mes yeux, le site dans son ensemble représente déjà la Maison de l’innovation sociale et des solidarités. Celles et ceux qui ont créé ces lieux ont généré de l’innovation sociale sans le savoir!» PRO-JET, l’origine du site Dès 1996, Jean-Michel Rey, éducateur visionnaire, ouvre une première structure vaudoise pour remettre des jeunes en rupture en situation d’employabilité (les semestres de motivation). Au vu du succès que suscite cette première expérience, des locaux lui sont rapidement nécessaires pour ouvrir des ateliers fixes et accueillir davantage de jeunes. La Fondation Esp’Asse est alors créée pour acheter une friche industrielle. L’UBS et la Loterie romande financent Une architecture qui invite à la solidarité Active dans le domaine de l’entraide et de l’insertion, la Fondation Esp’Asse, à Nyon (VD), prévoit la construction d’une Maison des innovations sociales et des solidarités à l’horizon 2027. Eclairage sur un concept inédit qui alliera audace, dynamisme et mixité sociale. Le projet est soutenu par Innosuisse. Anne Vallelian

14 ARTISET 02 I 2023 l’acquisition du site de la route de l’Etraz à Nyon. L’Association PRO-JET prend donc naissance et son envol. Si PROJET occupe un des bâtiments industriels, la surface immense invite à y loger d’autres locataires. Associations et artistes y prennent ainsi leurs quartiers et le mélange des genres se fait naturellement. Devant l’Association PRO-JET, un grand parking complète le site. C’est à cet endroit que se dressera dans quatre ans la future Maison des innovations sociales et des solidarités. Comment est né un tel projet? «Il y a le potentiel constructible du parking bien sûr. Toutefois cette envie de bâtir a aussi été motivée par la future construction de la passerelle entre la rue et l’établissement scolaire derrière l’Asse, véritable ouverture sur la ville, souligne la directrice de la Fondation Esp’Asse. Initiative de la Ville de Nyon, cette passerelle va s’appuyer sur un bâtiment à construire, telle est la vision de la ville. En louant ses surfaces, la Fondation Esp’Asse rembourse les emprunts et les charges mais ne perçoit aucun bénéfice. Des partenaires sont donc indispensables à la bonne mise en route du projet. «La Ville de Nyon nous a confirmé son soutien à l’unique condition que la construction à venir soit empreinte d’innovation et continue son travail de mise en cohésion sociale», détaille la directrice. La plateforme HES-SO LIVES d’innovation sociale et Innosuisse, l’agence qui promeut l’innovation en Suisse, sont également partenaires. Une démarche collaborative Le premier chèque reçu d’Innosuisse a d’abord permis de rémunérer une société mandataire qui a accompagné Esp’Asse dans une démarche collaborative innovante répartie en plusieurs étapes. La première a réuni tous les locataires du site. Dans un deuxième temps, des personnes d’horizons différents ont été invitées. Sur trois jours d’ateliers, une centaine de professionnel·les provenant du monde académique, social, culturel, scientifique et politique, des bénéficiaires de prestations et des locataires du site se sont réunis pour discuter du projet. «L’inspiration a été à son comble et cette intelligence collective a permis de produire les lignes directrices de cette future MISS!», s’enthousiasme la directrice. La Maison devrait ainsi comprendre un restaurant avec cuisine collective, des commerces solidaires, des salles de co-working et de travail en commun. L’extérieur devra faire partie de l’intérieur. Le bâtiment devra être ouvert à tout le monde. «La mixité sociale déjà présente sur le site devra impérativement être représentée dans la MISS», appuie Fabienne Freymond Cantone. La passerelle devra être étroitement liée à la future construction et les lieux empreints de dynamisme au moyen de fréquentes animations. «Enfin, si nous aspirons à formaliser l’innovation sociale, les Hautes écoles spécialisées doivent également y trouver leur place.» Au total, deux bâtiments se dresseront à la place du parking. La deuxième maison sera dévolue à des logements même si le concept doit encore être inventé. La Fondation Esp’Asse est actuellement en train de travailler avec la Haute école de travail social et de la santé de La démarche collaborative a permis de réunir une centaine de personnes d’horizons différents afin de définir les grandes lignes du projet commun. Photo: Esp’Asse «L’intelligence collective a permis de produire les lignes directrices de cette future Maison des innovations sociales et des solidarités.» Fabienne Freymond Cantone, directrice de la Fondation Esp’Asse À la une

ARTISET 02 I 2023 15 Vue aérienne du site actuel de la Fondation Esp’Asse. La future Maison des innovations sociales et des solidarités se dressera en 2027 sur le parking (en contrebas de la photo). Photo: Esp’Asse Lausanne, la Haute école de travail social de Genève ainsi qu’avec la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Le but? Collaborer sur un angle d’attaque innovant pour mettre au point le projet architectural de la MISS. Cette collaboration avec les Hautes écoles de Suisse romande marque une autre étape de la démarche collaborative. Les HES et la Fondation Esp’Asse sont allées chercher un nouveau crédit auprès d’Innosuisse. Les 15 000 francs reçus permettent de rémunérer une chercheuse qui est en train d’explorer plusieurs pistes inédites pour la planification et la construction des futurs bâtiments de la MISS et des logements. «Concrètement, nous ne savons pas encore ce que cela va donner car elle y travaille, explique Fabienne Freymond Cantone, mais nous allons de toute façon poursuivre le processus au moyen de démarches collaboratives, toutefois en évitant de nous perdre.» Autre point clé: le concours d’architecture. La Fondation Esp’Asse compte sur le soutien de la chercheuse afin de définir le cahier des charges forcément innovant dudit concours. «Son architecture devra casser les codes, insiste la directrice. L’innovation sociale doit en premier lieu résider dans la construction. Avec nos partenaires, nous souhaitons aussi inventer une manière différente de construire.» Un concept de mixité sociale porteur Même si son histoire commence à Nyon, cette MISS dépassera les frontières nyonnaises et même vaudoises. «Le projet a une ambition d’exemplarité, confirme la directrice. Nous aimerions pouvoir démontrer que ce concept de mixité sociale est viable sur le long terme, porteur et réplicable. C’est ambitieux certes mais nous y croyons. Si des chercheuses et des chercheurs sont intégrés dans ce projet, c’est pour inventer des modèles novateurs.» L’objectif de la Fondation Esp’Asse: recréer de la transversalité dans la future Maison des innovations sociales et des solidarités. «L’innovation sociale est avant tout liée à la transversalité, mais cette notion a été oubliée depuis soixante ans.» Fabienne Freymond Cantone croit beaucoup à ce projet qui concerne l’aménagement du territoire, la culture, le social, la politique, l’énergie, l’économie… «Cette cohérence entre tous ces domaines va nous permettre d’aller de l’avant dans des projets à impact sociétal. C’est passionnant!»

À la une Des réseaux et des modes participatifs pour stimuler l’innovation L’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale souhaite créer un environnement propice au développement de nouveaux modèles en matière de conseil, de soins et d’accompagnement des groupes vulnérables. Outre ses efforts auprès des politiques, elle entend inciter les parties prenantes à collaborer de manière innovante, notamment dans le cadre de l’Innovation Booster «Co-Designing Human Services». Elisabeth Seifert l

ARTISET 02 I 2023 17 Les exigences envers l’économie et la société évoluent constamment. Les nouveaux besoins demandent une capacité d’adaptation permanente de la part des entreprises ainsi que des organisations et des prestataires dans les domaines du travail social et de la santé. Par conséquent, une grande force d’innovation est nécessaire pour développer les structures et les offres des entreprises. Pour les sociétés qui vendent leurs produits et services directement à leur clientèle, le besoin d’améliorer ou de développer sans cesse de nouvelles offres est depuis longtemps une évidence. Les grandes entreprises disposent à cet effet de départements de recherche et développement bien dotés. Des fondations et organisations offrent à des PME innovantes ou à des jeunes entrepreneuses et entrepreneurs motivés un soutien pratique et financier leur permettant de réaliser leurs projets. Bien que la mise en œuvre d’idées novatrices soit importante dans les organisations du social et de la santé qui accompagnent des personnes ayant besoin de soutien, l’innovation n’y est encore que rarement thématisée. C’est ce que constatent Agnès Fritze, directrice de la Haute école de travail social du nord-ouest de la Suisse (FHNW), et Daniel Höchli, directeur de la fédération Artiset. L’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale a donc été fondée il y a près de deux ans afin d’encourager l’innovation dans ce domaine. Daniel Höchli en est le président et Agnès Fritze la vice-présidente. Pour Agnès Fritze, la présence d’un «quasi-marché» dans les domaines du social et de la santé explique le fait que ni les prestataires ni les financeurs n’ont conscience de devoir systématiquement stimuler et développer l’innovation. Ainsi, les organisations, gérées par mandats de prestations strictement définis et financées en grande partie par les pouvoirs publics, ne suivent pas la logique de l’offre et de la demande. Quant aux financeurs, c’est-à-dire ceux qui paient les prestations, ce ne sont pas les mêmes que celles et ceux qui en «Il peut s’agir du développement de prestations existantes ou de nouvelles méthodes et de leur diffusion.» Daniel Höchli, directeur de la fédération Artiset bénéficient. Des fonds publics ne sont octroyés pour de nouvelles prestations que lorsqu’un besoin est officiellement reconnu et qu’il répond à la norme. Les entreprises évoluent ainsi dans un environnement peu propice à l’innovation. Sensibiliser le monde politique et la société À cela s’ajoute, rappelle Daniel Höchli, le fait que les offres des prestataires des domaines du social et de la santé sont soumises à de nombreuses réglementations, la Confédération, les cantons et les communes ayant chacun des domaines de compétences clairement définis. Dans de telles conditions, vouloir développer ce secteur avec des idées novatrices implique des efforts particuliers et la collaboration de toutes les parties prenantes: fournisseurs de prestations, financeurs, autorités, bénéficiaires des prestations et hautes écoles. L’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale a donc aussi pour ambition d’encourager la mise en réseau des organisations de la recherche, du social et de la santé ainsi que des personnes concernées ou leurs représentant·es. Composée actuellement de quinze organisations membres, l’association représente ces différents domaines. L’objectif est de trouver, à l’aide de méthodes participatives, de nouveaux modèles et de nouvelles approches dans les domaines des soins, du conseil et de l’accompagnement des groupes vulnérables. Daniel Höchli et Agnès Fritze précisent toutefois que le but principal n’est pas de soutenir des start-up ou de nouveaux modèles d’affaires. «Cela ne doit pas forcément être quelque chose de nouveau», explique le président. «Il peut s’agir du développement de prestations existantes ou de nouvelles méthodes et de leur diffusion.» Ils entendent aussi attirer l’attention sur les conditions cadres qui entravent l’innovation. Par ailleurs, puisque les établissements et les organisations ne

18 ARTISET 02 I 2023 Partout en Suisse Plateforme STU2 Ascenseur de maison www.stannah.ch sales@stannah.ch 021 518 2604 100% DE MOBILITÉ À VOTRE DOMICILE Spécialement conçu pour être utilisé chez les particuliers ou dans les espaces commerciaux. Compact et rapide à installer, c'est la façon idéale de déplacer les personnes en fauteuil roulant. Différentes tailles et cabines Annonce peuvent généralement pas constituer de réserves pour l’innovation en raison du financement étroitement lié aux prestations, l’une des principales missions de l’association est de trouver des fonds. «Notre vision est de faire en sorte que les innovations sociales soient considérées comme pertinentes et nécessaires et largement acceptées par la société et le monde politique», souligne Agnès Fritze. Cela implique aussi qu’en Suisse, des «ressources et moyens de promotion spécifiques doivent être consacrés aux innovations sociales, qui permettent d’avoir un impact important et durable». Des objectifs ambitieux, que l’association souhaite atteindre ces prochaines années et pour lesquels elle entretient des contacts avec les responsables politiques. Pour mieux cerner le contexte politique, la conseillère aux États Isabelle Chassot (Le Centre, FR) a déposé l’automne dernier l’interpellation «Promotion ciblée de l’innovation sociale. Une nouvelle approche est nécessaire». Se fondant sur la réponse du Conseil fédéral, Agnès Fritze espère que les innovations sociales seront intégrées dans le prochain message du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). Apprendre à collaborer L’activité principale de l’association et de ses organisations membres consiste pour l’heure à gérer et à cofinancer l’Innovation Booster «Co-Designing Human Services», prévu sur quatre ans. Par le biais de cet outil, Innosuisse, l’Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, entend promouvoir «l’innovation radicale, durable et fondée sur la science», comme l’indique son site Internet. Une innovation est «radicale» lorsqu’elle tente de résoudre un problème d’une manière inédite. Pour ce faire, il est impératif de mieux comprendre les problèmes grâce au transfert de connaissances, à la collaboration des différentes parties prenantes et aux méthodes d’apprentissage flexibles. «Co-Designing Human Services» est actuellement l’un des dix-sept Innovation Boosters. Alors que jusqu’à présent, les champs d’action étaient pour la plupart technologiques, l’outil de promotion s’ouvre désormais aux innovations sociales. «Le but de notre candidature est de déterminer si et dans quelle mesure le Booster est adapté à ce domaine», explique Agnès Fritze. Pour ce faire, l’association a délibérément À la une

ARTISET 02 I 2023 19 choisi une thématique large, «Human Services». Les quatre thèmes annuels abordent toutefois des problématiques plus précises. Durant le premier cycle annuel, qui s’est achevé en mars 2023 avec la présentation des huit projets soutenus durant l’année, des idées innovantes sur le thème des «Formes d’habitat et de soutien pour les seniors» ont été développées. Le cycle annuel 2023 est consacré aux «Services et prestations intégrés dans le secteur social et de la santé». Conformément aux directives d’Innosuisse, les équipes d’innovation doivent inclure au moins un partenaire de mise en œuvre et un partenaire de recherche. Toutefois, l’association a décidé que les équipes seraient composées de chercheuses et chercheurs, de prestataires et de personnes concernées ou leurs représentant·es. Ce qui explique le «co-» dans le titre du Booster. «En incluant les personnes concernées, nous nous assurons qu’elles puissent elles aussi bénéficier des idées développées», explique Daniel Höchli. «Cette collaboration n’est pas spontanée, on doit l’initier et apprendre à travailler ensemble.» Vingt-sept équipes d’innovation ont soumis leurs idées de projet au printemps 2022 et dix-neuf d’entre elles ont été sélectionnées pour une phase d’idéation et un premier soutien. «Accompagnées par une équipe de coaching, elles ont ensuite développé leurs idées pendant plusieurs semaines», indique Pascal Maeder, de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), qui coordonne le Booster «Co-Designing Human Services». «Ces discussions et recherches permettent notamment aux équipes d’échanger leurs points de vue.» À l’automne 2022, huit équipes se sont qualifiées pour une deuxième étape de promotion, la phase d’essai, lors de laquelle elles ont pu tester leurs premières solutions et hypothèses, notamment dans le cadre d’ateliers avec des jeux de rôles intégrant les différents points de vue. Des développements innovants Parmi les huit idées ainsi développées, il estime que le projet «Esp’Asse» peut être considéré comme une «innovation radicale» (lire en page 13). Dans la région de Nyon, des tests sont menés afin de déterminer comment aménager les locauxpour permettre le développement de nouveaux modèles de soutien conjointement avec des seniors, des sans-abri et des chômeuses et chômeurs de longue durée. Parmi les autres idées, Pascal Maeder mentionne à titre d’exemple le projet tessinois «Modello ABAD», dans le cadre duquel des organisations d’aide et de soins à domicile coordonnent le travail bénévole des proches et les soutiennent par des coachings afin de les décharger. Le projet bâlois «Demenz und Migration» constitue un développement innovant, grâce auquel des professionnel·les du domaine médico-social ainsi que des membres d’associations d’aide aux migrant·es peuvent acquérir des connaissances pour conseiller et soutenir les personnes atteintes de démence issues de l’immigration et leurs proches. Un processus complexe L’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale et Innosuisse effectueront un bilan intermédiaire au cours des prochains mois afin de s’assurer que l’Innovation Booster est le bon outil pour stimuler les innovations sociales. «C’est très exigeant de développer des idées de projets innovantes dans le cadre d’un processus ouvert impliquant différentes parties prenantes», constate Agnès Fritze. Elle estime qu’une année n’est pas suffisante pour faire avancer de tels processus d’innovation, qui sont encore nouveaux pour les domaines du social et de la santé. L’implication de représentant·es des personnes concernées est l’un des principaux défis à cet égard. Afin de pouvoir progresser dans de telles conditions, les équipes ont besoin d’un soutien supplémentaire. Les ressources nécessaires à cet effet sont cependant considérables, tant du côté de l’association que des organisations membres, d’autant plus que les organisations ne disposent pas de budget d’encouragement. Dans le cadre du deuxième cycle annuel, qui vient de débuter, des améliorations ont été apportées au processus. Quelle que soit la suite donnée à l’Innovation Booster, «c’est un bon essai», conclut Daniel Höchli. «Notre vision est de faire en sorte que les innovations sociales soient considérées comme pertinentes et nécessaires et largement acceptées par la société et le monde politique.» Agnès Fritze, directrice de la Haute école de travail social du nord-ouest de la Suisse FHNW

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